Sanctionner un juge pour avoir protégé la vie d’un inculpé, c’est porter un coup mortel à l’indépendance judiciaire. Le cas Merlan Belabre est un signal d’alarme pour la démocratie et la justice .Analyse, dans son éditorial Tanes DESULMA ,cette affaire qui divise le monde judiciaire haïtien….

« Le juge d’instruction est le personnage le plus puissant de France », écrivait Honoré de Balzac dans Splendeurs et misères des courtisans. Depuis la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986 et l’adoption de la Constitution de 1987, les réformes du système judiciaire haïtien se sont largement inspirées des modèles européens, notamment de la tradition inquisitoire.
Dans ce système, le juge d’instruction est une figure centrale : le Code d’instruction criminelle le place au cœur de la procédure, lui conférant une souveraineté d’enquête qui le rend indépendant du pouvoir exécutif, et même du commissaire du gouvernement, dont les réquisitions ne lient pas.

Pourtant, cette architecture de l’indépendance judiciaire a été bafouée de manière spectaculaire et inquiétante dans l’affaire du juge Merlan BELABRE, aujourd’hui sanctionné par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), dans des conditions qui interrogent, voire révoltent.


🟦 I. La libération de René Toussaint : une décision humanitaire dans l’intérêt de la justice

Le juge d’instruction est souvent décrit comme le Janus de la magistrature : à la fois enquêteur et arbitre. Il dispose de pouvoirs étendus pour découvrir la vérité, protéger les victimes, mais aussi sauvegarder les droits fondamentaux des inculpés, notamment leur santé.

C’est dans cet esprit, et sur la base d’un avis médical circonstancié et d’un rapport de police, que le juge BELABRE a ordonné la libération provisoire de M. René Toussaint, dont l’état de santé était incompatible avec la détention.

Peut-on vraiment reprocher à un magistrat d’avoir préféré soigner un prévenu gravement malade plutôt que de le laisser mourir en prison ? Car faut-il le rappeler : le décès d’un prévenu éteint l’action publique, rendant le procès impossible et privant la victime et la société de la vérité.

Le juge BELABRE a donc pris une décision juste, légale et équilibrée. Il n’a pas libéré un accusé par compassion aveugle, mais par souci de justice, de vérité, de procédure. Même un étudiant de première année de droit sait que la justice ne punit pas des cadavres. Le procès exige un accusé vivant, apte à être jugé, à se défendre, à être condamné le cas échéant.


🟦 II. Une erreur procédurale sans portée disciplinaire

Il est exact que le juge n’a pas sollicité l’avis du commissaire du gouvernement dans sa décision de libération. Mais ce manquement, s’il est une omission formellene constitue en rien une faute disciplinaire, pour plusieurs raisons :

  1. Le juge d’instruction est souverain : l’avis du parquet ne le lie pas. Il peut décider en conscience.
  2. La libération provisoire n’est pas un jugement de fond, mais une mesure conservatoire et réversible.
  3. En l’absence d’une chambre de l’instruction dans les cours d’appel haïtiennes, le parquet ou la partie civile ne disposent pas d’un mécanisme d’appel spécifique – une lacune du système, et non une faute du juge.
  4. Aucune disposition légale ne qualifie cette omission de faute disciplinaire. En droit, il n’y a pas de sanction sans texte.

Le juge BELABRE n’a agi ni en faveur d’un proche, ni sous influence, ni par intérêt personnel. Il n’est ni corrompu, ni négligent, ni coupable d’un quelconque trafic d’influence.


🟦 III. La sanction du CSPJ : une dérive institutionnelle grave

La mise en disponibilité sans traitement pour trois ans prononcée par le CSPJ contre le juge BELABRE constitue une violation flagrante du droit disciplinaire, ainsi qu’un détournement de procédure :

  • Violation de l’article 23 de la loi du 13 novembre 2007 portant création du CSPJ : les plaintes contre un magistrat doivent être transmises par le ministre de la Justice, et non directement au Conseil. Or, les plaintes de Maxso Bonhomme (7 janvier 2025) et Jackson Fleurelus (29 janvier 2025) ont été directement saisies, en contournant le ministère.
  • Excès de pouvoir dans la durée de la sanction : l’article 140 du Statut général de la Fonction publique prévoit une mise en disponibilité limitée à trois mois en cas de sanction. Le CSPJ a donc outrepassé ses prérogatives.
  • Confusion de rôle : en sanctionnant une décision juridictionnelle, le CSPJ s’est comporté comme une juridiction d’appel, ce qu’il n’est ni en droit, ni en fait.

En réalité, le juge a été puni pour avoir déplu à un ancien président de la Commission Justice du Sénat, acteur politique influent, désormais partie civile dans l’affaire. Ce type de règlement de comptes politique démolit le principe fondamental d’impartialité et d’indépendance de la justice.


🟦 IV. Une profession abandonnée : quand le silence devient complicité

Dans cette affaire, ce qui glace, ce n’est pas seulement l’injustice. C’est le silence. Où sont les barreaux ? Où sont les syndicats de magistrats ? Où est l’École de la magistrature ? Où sont les partis politiques qui, ailleurs, défendent l’indépendance du pouvoir judiciaire ?

À l’étranger, des figures comme François BayrouDonald Trump, ou plus récemment Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy, ont pu être accusées, poursuivies, parfois condamnées… Mais chaque fois, les institutions ont fonctionné, les droits ont été respectés, et la profession judiciaire a réagi.

En Haïti, le juge est seul. Il est attaqué médiatiquement. Il est humilié. Et personne ne le soutient.

Mais nous, citoyens de droit, devons refuser ce silence complice. Car aujourd’hui c’est le juge Belabre, mais demain ce sera un autre, et après-demain, la justice tout entière.


🟦 Conclusion : honneur à un juge debout

Le juge Merlan Belabre a gravi tous les échelons de la magistrature : juge de paix, juge du siège, juge d’instruction. Il n’a jamais été sanctionné. Il n’a jamais trempé dans une affaire. Il n’a jamais trahi la robe.

Aujourd’hui, il est sanctionné pour avoir appliqué la loi.

Je prends sa défense non par corporatisme, mais par conscience. Parce que je suis un hugoïste, un rousseauiste, un admirateur de Me Gérard Gourgues, de Robert Badinter, de tous ceux qui croient que la justice est la dernière frontière de la civilisation.

Le juge Merlan BELABRE est un homme droit, exemplaire, à qui on ne reproche ni corruption ni prise illégale d’intérêts. Sa sanction par le CSPJ est un signal d’alarme pour toute la magistrature haïtienne.

Face à cette injustice, nous espérons que le juge BELABRE fera appel devant la formation plénière du CSPJ et que justice lui sera rendue.

À lui, à sa famille, à ses collaborateurs, nous adressons notre soutien indéfectible.

La justice triomphera.
Vive la justice.
Vive l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Et honneur au juge Merlan BELABRE.

By Tanes DESULMA

Tanes DESULMA, Rédacteur en chef d’Alternance-Media, je suis diplômé en journalisme de l’ICORP et en droit public de l’École de Droit de La Sorbonne. Passionné par l’information et la justice, je m’efforce de proposer un journalisme rigoureux et engagé.