« Dans certaines salles d’examens en Haïti, les vraies questions ne sont plus : “Que sais-tu ?” mais : “As-tu payé ?” ». Une enquête signée Willy DESULMA, directeur adjoint de la rédaction, en charge de l’éducation

Haïti traverse une crise multidimensionnelle sans précédent, et le secteur éducatif en paie le prix fort. Entre insécurité endémique, grèves prolongées, fermeture d’écoles dans les zones de non-droit et abandon de l’État, l’école haïtienne se vide de sa substance. Mais un phénomène plus insidieux s’enracine : la normalisation de la fraude scolaire à grande échelle, organisée par ce qu’on appelle désormais le « réseau », une véritable mafia éducative.


📌 Fin des examens de 9e année : une alerte rouge

Le jeudi 3 juillet 2025, les élèves de 9e année fondamentale ont terminé leurs examens officiels. Mais cette session n’a pas été marquée par l’effort ou le mérite. Elle a été, au contraire, l’illustration criante d’un système dévoyé : la réussite dépend désormais moins des connaissances que de la capacité à payer pour tricher.

Dans les écoles, dans les rues, dans les messages WhatsApp codés, le mot « réseau » est sur toutes les lèvres. C’est lui qui garantit la réussite. L’école n’est plus le lieu de l’émancipation, mais la scène d’un marchandage généralisé.


🎯 Le “réseau” : la tricherie institutionnalisée

Traditionnellement, réussir à un examen en Haïti nécessitait du travail, de la discipline et une certaine rigueur. Ce temps semble révolu. Aujourd’hui, des milliers d’élèves, souvent avec la bénédiction silencieuse de leurs parents ou le laxisme de surveillants corrompus, se tournent vers des circuits clandestins de vente de sujets et de corrigés, accessibles pour des sommes allant de 5 000 à 20 000 gourdes.

Autrefois marginal, ce phénomène est devenu central. Une enquête réalisée en juillet 2025 révèle que plus de 80 % des élèves interrogés reconnaissent avoir adhéré au système ou envisagent de le faire. Des centres de « rattrapage » se transforment en véritables antennes logistiques du réseau. Les institutions éducatives, impuissantes ou complices, ferment les yeux ou, pire, participent à ce mécanisme dévastateur.


🎙️ Témoignages : “Vive le réseau, à bas l’échec !”

Le tableau est sombre, mais les paroles d’élèves de 9e interrogés sont encore plus édifiantes. Sur 12 interrogés, 10 confient avoir utilisé ou envisagé d’utiliser le réseau :

  • Jean : « Il suffit d’avoir accès au réseau. Ta réussite est assurée. »
  • Paul : « Je ne veux pas redoubler. Je suis prêt à tout. Le réseau, c’est la solution. »
  • Manise : « C’est déjà réglé, l’examen ne sert que de formalité. »
  • Ketia : « À bas l’échec, vive le réseau. »
  • Malon : « Croire en ses compétences, c’est naïf. Tout est déjà dehors. »
  • Kendy : « Je révise, mais je profite aussi de ce qui circule. »
  • Djina : « Le réseau, c’est pour ceux qui ne se préparent pas. Moi, je travaille. »

Ces propos traduisent une inversion des valeurs éducatives. L’honnêteté est désormais perçue comme une faiblesse. Le système n’encourage plus le savoir mais la débrouillardise illicite.


⚠️ Capital humain en ruine, avenir compromis

Le constat est alarmant. À force de tolérer la fraude, c’est toute la nation qui se tire une balle dans le pied. Des élèves sans compétences accèdent à l’université, puis au marché du travail, dépourvus de savoir-faire. On remplit des diplômes, mais on vide la formation de son contenu.

Le prix Nobel d’économie Theodore W. Schultz rappelait que « la qualité du capital humain est la clé de tout développement durable ». Son confrère Robert Lucas, autre Nobeliste, insistait sur le fait qu’un capital humain corrompu devient inutile et toxique pour l’économie. Le système haïtien semble avoir choisi de former une élite d’apparence, incapable de tirer le pays vers le haut.


🤝 Parents complices, surveillants silencieux

La responsabilité est collective. Certains parents, dépassés par l’échec du système scolaire, n’hésitent plus à financer la fraude comme ultime recours. « Si vous les surveillez trop, ce n’est pas bon pour nous et ce serait difficile pour vous quand vous sortez », a confié un parent à une surveillante. Le message est clair : le silence s’achète, comme les résultats.

Des enseignants, parfois non payés depuis des mois, cèdent à la tentation ou ferment les yeux. Des vendeurs de sujets rodent autour des centres d’examen, entre arnaque, bluff et corruption réelle. Le chaos est devenu la norme.


🚨 Une nation en péril, une jeunesse trahie

Le système éducatif haïtien vit une lente agonie. L’école, lieu de transmission du savoir, est en train de devenir le théâtre d’un vaste simulacre. En trichant aujourd’hui, c’est la légitimité même de l’élite de demain qui est remise en question. C’est la gouvernance future, la justice, la santé, l’économie du pays qui risquent d’être entre les mains d’incompétents.


✊ Il est encore temps d’agir

Mais ce n’est pas irréversible. Des enseignants engagés, des élèves méritants, des associations mobilisées existent encore. Il faut les soutenir. Il est urgent de :

  • Restaurer l’intégrité des examens
  • Assainir l’administration scolaire
  • Sanctionner fermement les circuits de fraude
  • Valoriser l’effort intellectuel et le mérite

L’éducation est le dernier rempart contre l’effondrement total d’une nation. La trahison de la jeunesse n’est pas une fatalité. Mais il faut choisir : l’illusion ou la reconstruction.


📚 Sources :

  • Enquête terrain – Juillet 2025 (élèves de 9e année fondamentale)
  • Témoignages de parents et surveillants
  • Travaux de Theodore W. Schultz (Prix Nobel, 1979)
  • Théories de Robert Lucas Jr (Prix Nobel, 1995 – École de Chicago)
  • Documents du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP)

By Willy DESULMA

Willy DÉSULMA, Normalien diplômé de l’École Normale Supérieure et économiste formé à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti, est journaliste et responsable de l’information à Alternance Média TV. Passionné par la diffusion d’une information claire et fiable, il s’engage à informer avec rigueur et professionnalisme. Expert en analyse économique et éducation, il combine savoir et expertise pour éclairer l’actualité et contribuer au débat public.