Quatre ans jour pour jour après l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, tué de 12 balles dans sa résidence privée à Port-au-Prince, aucun procès n’a été ouvert en Haïti. Le pays, en proie à l’anarchie et au chaos institutionnel, peine à faire émerger la vérité sur ce crime d’État. L’enquête judiciaire nationale est paralysée par l’insécurité généralisée, l’infiltration des gangs, la peur des magistrats et un climat d’impunité institutionnelle.
⚖️ Une enquête piétinante, des juges en sursis
Depuis 2021, six juges se sont succédé dans le dossier, certains ayant démissionné pour préserver leur vie, d’autres tentant de maintenir les audiences dans des conditions précaires. Le palais de justice, tombé entre les mains des gangs, a été déserté. Les interrogatoires ont lieu aujourd’hui dans des maisons privées, à Pétion-Ville, sous haute protection.
Des échanges tendus entre suspects et magistrats témoignent d’un climat délétère. Le juge Claude Jean, s’adressant à un policier chargé de la sécurité présidentielle, a lancé :
« Vous avez échoué dans votre mission. Et vous n’avez pas honte de vous déclarer innocent. »
👤 Des suspects sans procès, d’autres en cavale
Parmi les 51 suspects identifiés, 20 sont encore détenus en Haïti, dont 17 anciens militaires colombiens et trois ex-fonctionnaires haïtiens, incluant un ex-policier, un ancien maire et un agent anti-corruption du ministère de la Justice. Certains ont fui après la prise d’assaut des prisons en 2023, notamment Dimitri Hérard, ex-chef de la sécurité du Palais national, et Jean Raquel Civil, coordonnateur des services de sécurités du Palais.
Plusieurs détenus dénoncent des mauvais traitements, des actes de torture et des interrogatoires sans traducteurs. L’un d’eux, Jheyner Alberto Carmona Flores, a déclaré :
« J’ai été battu, torturé, menacé de mort. Je ne savais même pas que le président était mort. »
⚖️ Une justice parallèle aux États-Unis
Pendant que l’enquête en Haïti stagne, les États-Unis ont instruit un volet judiciaire plus efficace. Onze suspects extradés ont été inculpés. Parmi eux, Rodolphe Jaar, homme d’affaires haïtiano-chilien, et John Joël Joseph, ancien sénateur haïtien, ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice fédérale américaine.
Ils ont reconnu avoir facilité la logistique de l’assassinat : hébergement des mercenaires, financement, livraison d’armes, et coordination opérationnelle. D’autres suspects attendent leur procès prévu en mars 2026, comme :
- James Solages et Joseph Vincent citoyens américains, d’origines haïtiennes
- Christian Emmanuel Sanon, pasteur et médecin,
- Tony Intriago, propriétaire de la société CTU Security basée à Miami.
Ces procès ont révélé que le plan initial était d’enlever Moïse, mais qu’il s’est transformé en opération d’exécution. La veille du crime, Solages aurait prétendu qu’il s’agissait d’une opération de la CIA.
🕵️♂️ Où sont les vrais commanditaires ? Quel était le mobile ?
Quatre ans après, le ou les véritables commanditaires n’ont toujours pas été identifiés. Pire encore, le mobile de l’assassinat reste officiellement inconnu.
Les spéculations vont bon train, mais aucun rapport – ni haïtien, ni américain – n’a établi de façon claire les motivations politiques, économiques ou stratégiques de cette opération.
🚫 Aucune preuve contre l’ancienne opposition
Fait remarquable : aucune figure de l’ancienne opposition politique à Jovenel Moïse ne figure dans les dossiershaïtiens ou américains.
Il n’existe à ce jour aucun indice concordant permettant d’impliquer des leaders de l’opposition dans la planification, la logistique ou l’exécution du crime.
Cela amène certains à penser que la vraie conspiration était intérieure, au sein même de l’appareil d’État : au Palais national, dans la Police nationale d’Haïti, et au cœur de l’administration présidentielle.
🚪 Silence et refus de coopérer parmi les proches du président
De manière troublante, plusieurs proches de Jovenel Moïse refusent de se présenter devant la Cour d’appel de Port-au-Prince, malgré les convocations :
- Sa veuve, Martine Moïse, blessée lors de l’attaque,
- Son ancien ministre de la Justice, Rockfeller Vincent,
- Son ancien ministre de l’Intérieur, Gonzague Day,
- Son ancien DG de la police, Léon Charles.
Martine Moïse a même été accusée de complicité et d’association de malfaiteurs par un juge d’instruction, accusations que ses avocats rejettent catégoriquement.
📉 Un système judiciaire à l’agonie
Bruner Ulysse, avocat et professeur d’histoire, résume la situation :
« Si les efforts internationaux ont donné des résultats, la quête de justice en Haïti reste extrêmement difficile. Les juges, les procureurs et les avocats travaillent sous menace constante. »
⚠️ Le risque d’un crime parfait
Malgré la mobilisation internationale, le dossier haïtien est au point mort. La vérité judiciaire tarde à éclater. L’impunité s’installe. Et l’État haïtien, gangrené de l’intérieur, ne semble pas disposé à se juger lui-même.
Sans commanditaires identifiés, sans procès national, sans mobile officiel, l’assassinat de Jovenel Moïse pourrait bien rester à jamais un crime parfait… dans un État défaillant.