Dans un pays exsangue, où les gangs dictent encore la loi sur de larges portions du territoire, un contrat passé entre le gouvernement haïtien et Erik Prince, ex-fondateur de la sulfureuse société militaire privée Blackwater vient bouleverser le paysage sécuritaire. À travers sa société Vectus Global, Prince promet d’éradiquer les gangs et de sécuriser les frontières. Mais derrière les annonces officielles se cachent des zones d’ombre qui interrogent sur l’avenir de la souveraineté haïtienne. Analyse, dans son éditorial , Ralph SIMÉON, journaliste indépendant et chroniqueur régulier pour « ALTERNANCE MÉDIA « 

Un accord inédit et ambitieux

Selon des révélations de Reuters et du Guardian, le contrat signé prévoirait l’engagement de Vectus Global pour dix ans. Objectif : aider la Police nationale d’Haïti (PNH) à reprendre le contrôle d’axes stratégiques, routes nationales, ports, aéroport et, à terme, participer à la collecte des taxes au principal poste frontalier avec la République dominicaine.
Erik Prince affirme qu’en un an, le corridor Port-au-Prince–Cap-Haïtien pourrait être parcouru « en véhicule léger, sans entrave ni menace ».

Durée floue et premières divergences

Mais la durée réelle reste controversée. Associated Press parle d’un contrat initial d’un an, prévoyant l’arrivée d’environ 200 personnels étrangers pour une phase test, avec possibilité d’extension. Les sources convergent toutefois sur une montée en puissance progressive, intégrant forces terrestres, moyens aériens et nautiques, ainsi que des drones armés.

Depuis mars 2025, des opérations préliminaires auraient déjà eu lieu, notamment avec l’usage de drones de surveillance et de frappe.

Une cohabitation délicate avec la mission kényane

Le dispositif doit coexister avec la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMAS) dirigée par le Kenya et soutenue par l’ONU. Côté haïtien, la coordination serait assurée par André Jonas Vladimir Paraison, nouveau directeur général de la PNH et ancien chef de la sécurité du Palais national.

Si officiellement Washington n’est pas impliqué dans le financement, la présence de Prince, proche de Donald Trump, nourrit les spéculations sur un agenda politique et géostratégique plus large.

Qui tiendra vraiment les clés de la sécurité et des finances d’Haïti ?

Le gouvernement haïtien n’a pas rendu public le texte du contrat, ni précisé le montant de l’accord, ses clauses financières, ou les conditions de sortie.
La perspective que Vectus Global participe à la gestion des recettes douanières interroge : s’agit-il d’un renfort technique temporaire ou d’une externalisation partielle des finances publiques à une société étrangère ?

Les fantômes de Blackwater

Le nom d’Erik Prince reste indissociable de Nisour Square (Bagdad, 2007), où des employés de Blackwater ont tué 17 civils irakiens. Condamnés aux États-Unis, quatre d’entre eux ont été graciés en 2020 par Donald Trump. Ce passif alimente les craintes d’impunité et d’abus dans un pays où la justice peine déjà à juger les crimes des forces de sécurité locales.

Cet accord entre Vectus Global et Haïti s’apparente à une course contre la montre : ramener la sécurité avant que l’opinion ne se retourne. Mais à défaut de transparence et de garanties solides, le pays prend le risque que cette opération privée serve d’autres intérêts que ceux du peuple haïtien. En l’absence de transparence, cet accord pourrait être l’outil d’une libération… ou le cheval de Troie d’une nouvelle dépendance.

By Ralph Siméon

Ralph SIMÉON- journaliste engagé, animateur et entrepreneur. J'ai fait mes premiers pas à Radio Haïti Inter, média emblématique et référence nationale. En France, j'ai cofondé Haïti Tribune avant de rejoindre le service créole de Radio France Internationale ( RFI). Mon parcours incarne un engament constant en faveur de l'information , du lien social et de la valorisation d' Haïti sur la scène internationale.