En Haïti, la devise biblique « La justice élève une nation » semble n’être qu’un slogan oublié. Le système judiciaire, censé protéger les citoyens et garantir l’État de droit, se montre trop souvent silencieux ou complaisant face à une classe politique et économique gangrenée par la corruption. Pendant que les élites échappent aux poursuites, ce sont les tribunaux étrangers qui finissent par sanctionner ceux que notre justice nationale ignore.

Des tribunaux et des prisons paralysés

Depuis juin 2022, le tribunal du Bicentenaire à Port-au-Prince est désert. Des gangs armés en ont pris le contrôle, forçant magistrats et greffiers à fuir. Les audiences sont suspendues, des milliers de dossiers sont inaccessibles et, là où les tribunaux fonctionnent encore, 84 % des détenus croupissent en prison sans jugement.

La crise s’étend aussi aux prisons. Au fil des attaques armées, les détenus du pénitencier national, de la prison de Croix-des-Bouquets et de celle de Mirebalais ont été libérés par les groupes armés. Des centaines de prisonniers, y compris des criminels dangereux, sont toujours dans la nature. À ce jour, rien n’a été fait pour remettre en état ces établissements pénitentiaires ni pour capturer les fugitifs, aggravant l’insécurité et minant davantage la crédibilité de l’État.

Magistrats discrédités, sanctions étrangères

En janvier 2023, le Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire a retiré leur certification à près de trente juges soupçonnés de corruption, une mesure saluée mais insuffisante face à l’ampleur du problème. Dans bien des cas, les affaires les plus sensibles ne progressent qu’à l’étranger.

Dr Réginald Boulos, homme d’affaires influent et ancien candidat à la présidence, a été arrêté aux États-Unis pour fausse déclaration aux services d’immigration et fait face à des accusations de corruption et de collusion avec des gangs en Haïti.

Rosemila Petit Frère, ex-mairesse de L’Arcahaie, a été interpellée le 10 août 2025 en République dominicaine pour blanchiment d’argent , selon une source au sein de l’Ambassade d’Haïti en République Dominicaine.

Ces interventions extérieures rappellent cruellement que la justice haïtienne ne joue pas son rôle.

Une corruption érigée en système

Haïti se classe parmi les pays les plus corrompus au monde selon Transparency International. Les faibles salaires des magistrats, l’absence de contrôle interne et les nominations dictées par des alliances politiques ou financières minent toute indépendance judiciaire. Dans ce contexte, les sanctions américaines, canadiennes ou françaises contre des personnalités comme Gary Bodeau, Rony Célestin ou Youri Latortue sont perçues comme des actes de justice… mais aussi comme la preuve humiliante que l’État haïtien est incapable de juger ses propres dirigeants.

Refonder pour survivre

Si la justice haïtienne veut regagner la confiance du peuple et restaurer la dignité nationale, elle doit rompre avec l’impunité. Cela passe par :

la sécurisation des tribunaux et la tenue régulière des audiences,

la reconstruction et la sécurisation des prisons détruites ou abandonnées,

la nomination de magistrats sur des critères de compétence et d’intégrité,

la protection des dénonciateurs et la transparence des procédures,

la coopération internationale comme levier temporaire, et non comme substitut permanent.

Sans une réforme profonde, la justice restera absente, laissant la corruption, l’insécurité et le crime organisé détruire les dernières fondations d’un État déjà fragile. Et Haïti continuera de dépendre des décisions d’autres nations pour punir ses propres coupables.

By Ralph Siméon

Ralph SIMÉON- journaliste engagé, animateur et entrepreneur. J'ai fait mes premiers pas à Radio Haïti Inter, média emblématique et référence nationale. En France, j'ai cofondé Haïti Tribune avant de rejoindre le service créole de Radio France Internationale ( RFI). Mon parcours incarne un engament constant en faveur de l'information , du lien social et de la valorisation d' Haïti sur la scène internationale.