Par Smith PRINVIL
En Haïti, l’impensable devient une réalité quotidienne. À travers une simple note vocale diffusée sur les réseaux sociaux, le chef de gang de « Ti Bwa », Christ-Roi Chéry, alias Krisla, a appelé à trois journées de grève, du lundi 28 au mercredi 30 avril 2025. Objectif affiché : contraindre l’État à nommer un agent exécutif intérimaire à la tête de la mairie de Carrefour.
Un criminel notoire, à la tête d’un groupe armé qui terrorise les populations de Port-au-Prince et de sa périphérie, dicte à présent les modalités du fonctionnement administratif d’une commune. Pire encore, ce message a été relayé massivement sur les réseaux sociaux, suscitant plus de peur que de moquerie, car chacun sait que derrière les mots de Krisla se cache la menace très réelle d’un bain de sang en cas de désobéissance.
Nous avons franchi une ligne rouge : l’État haïtien, déjà affaibli, est publiquement sommé d’obéir à un chef de gang. Non seulement le pouvoir de l’État est défié, mais il est désormais remplacé dans ses fonctions régaliennes par des entités criminelles. La mairie de Carrefour, comme tant d’autres institutions, se retrouve prise en otage dans un bras de fer entre l’illégalité armée et une autorité publique en lambeaux.
Cette situation dramatique illustre l’effondrement de l’appareil étatique. Il ne s’agit plus simplement d’un déficit de gouvernance, mais d’une reconfiguration du pouvoir : les gangs, aujourd’hui, ne se contentent plus de contrôler des quartiers, ils revendiquent une légitimité politique, imposent leur agenda, leur parole, leur ordre.
À ceux qui, depuis l’international, continuent de proposer des solutions « techniques » à une crise qui est d’abord morale et politique, il est urgent de dire : on ne dialogue pas avec les fusils. On ne construit pas la paix en légitimant la violence. On ne rebâtit pas une nation en normalisant la terreur.
La grève annoncée par Krisla est un avertissement. Si rien n’est fait, demain d’autres chefs de gang s’érigeront en « représentants communautaires », en « interlocuteurs politiques » ou en « gestionnaires locaux ». Ce jour-là, Haïti ne sera plus un État failli, mais un territoire livré au pouvoir des seigneurs de guerre.
Il est temps de choisir : soumission ou sursaut. L’État haïtien doit reprendre le contrôle, non par des discours, mais par des actes clairs. Il doit restaurer l’autorité légitime, protéger la population, démanteler les groupes armés, et surtout, refuser toute tentative de gouvernance par l’intimidation.