Par Smith PRINVIL

Port-au-Prince – Le vent de la reddition de comptes souffle de plus en plus fort sur la transition politique haïtienne. Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), organe au cœur du processus de refondation nationale, a lancé cette semaine un appel direct à l’appareil judiciaire. Objectif : que les juges haïtiens se saisissent des dossiers des personnalités sanctionnées par la communauté internationale pour des faits graves allant de la corruption au blanchiment d’argent, en passant par les violations des droits humains.

Cette demande formelle a été adressée par Fritz Alphonse Jean, coordinateur du CPT, au Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, dans une correspondance officielle transmise au Palais national. Elle exige la mobilisation urgente des instances judiciaires compétentes pour statuer sur les cas qui relèvent de leur champ d’action.

« Il ne s’agit pas d’une simple démarche administrative. Il s’agit d’un acte de souveraineté. Il est temps que la justice haïtienne s’affirme face à ses responsabilités, non pas sous injonction étrangère, mais pour répondre au besoin criant de vérité, de justice et de dignité dans ce pays », confie un haut fonctionnaire proche du dossier, sous couvert d’anonymat.

Depuis deux ans, les États-Unis, le Canada, l’Union européenne et d’autres acteurs internationaux ont dressé une liste noire de figures politiques, économiques ou issues du monde sécuritaire, accusées de jouer un rôle actif dans l’effondrement de l’État haïtien. Jusqu’à présent, ces sanctions ont rarement trouvé écho dans la justice nationale.

Le CPT veut changer la donne. Dans la note publiée à ce sujet, l’organisme présidentiel souligne que cette initiative vise à honorer les engagements internationaux d’Haïti en matière de transparence, de lutte contre l’impunité et de respect des droits humains.

« Ces sanctions ne peuvent rester lettres mortes. Nous devons traduire en actes notre volonté de moraliser la vie publique », lit-on dans la déclaration officielle du Conseil.

Le Premier ministre est désormais sommé de transmettre un rapport détaillé sur les mesures mises en œuvre pour donner suite à cette requête. Le CPT entend suivre de près l’application de ses recommandations et pourrait, à terme, rendre publiques les démarches entreprises par les institutions concernées.

Dans les milieux juridiques, la réaction est partagée. Certains magistrats applaudissent le signal envoyé, tandis que d’autres soulignent les limites structurelles du système judiciaire haïtien, miné par le sous-financement, les menaces et la politisation.

Pour de nombreux observateurs, cet appel constitue un test décisif pour la crédibilité du CPT. La transition ne pourra réussir qu’à condition de restaurer la confiance dans les institutions, à commencer par la justice.

Le défi est immense. Mais à travers cette initiative, le CPT tente de faire émerger une nouvelle ère : celle où les intouchables devront, eux aussi, répondre de leurs actes devant la loi.