Vers une remise en cause de l’indépendance des juges, plus particulièrement le juge d’instruction.
Je m’inquiète de voir un juge d’instruction être mis en cause dans l’exercice de ses fonctions par le CSPJ, sous la pression du tribunal
médiatique . Alors qu’il est chargé d’instruire un dossier,extrêmement sensible , relatif au viol d’une mineure. Alors que ce juge de par son statut ne peut pas se défendre dans les médias.
Les faits
En l’espèce le juge d’instruction Merlan BÉLABRE est en charge d’instruire un dossier de viol, dont la plaignante, représentée par ses parents,est une mineure de 15 ans et l’accusé est le directeur de l’établissement ou est scolarisée la plaignante. De ce viol présumé aurait né un enfant âgé de 10 mois, aujourd’hui.
L’accusé , aujourd’hui inculpé, a été arrêté par la DCPJ, par un mandat délivré par le commissaire du gouvernement près du Tribunal de première instance de Port-au-Prince en date du 29 février 2024. Lequel dossier a été attribué au magistrat instructeur par le Doyen du tribunal de première instance de Port-au- prince en date du premier juillet 2024.
Le magistrat instructeur avait auditionné les deux parties. Sauf que , entre temps, l’état de santé de l’inculpé, qui était déjà souffrant, s’est brutalement dégradée en prison.
Le juge d’instruction .véritable gardien des droits fondamentaux , à fait droit à la demande de l’accusé , sollicitant une autorisation pour urgence médicale.
Si le juge instructeur avait accepté cette demande, c’est parce que le conseil de L’inculpé avait adressé une requête , ou un magistrat du tribunal de paix de Pétion-Ville avait dressé un constat alarmant sur la situation de l’inculpé. Sans oublier un rapport du directeur de la prison sur la situation du détenu.
Deux certificats médicaux issus de deux centres hospitaliers différents avaient conduit le juge BÉLABRE à ordonner une libération provisoire pour raison humanitaire. Depuis des journalistes qui ne maîtrisent pas les affaires police-justice ont tiré la manche du magistrat. Et que c’est sur cette base que le CSPJ a fondé sa décision.
L’indépendance du juge d’instruction est-elle mise en danger par la justice médiatique?
Les magistrats peuvent être amenés à rendre des comptes au CSPJ, s’ils ont commis des fautes(2) cependant des pressions internes et externes ne doivent pas influencer la décision des magistrats.
L’indépendance interne : la liberté d’interpréter et d’appliquer la loi
Aucune puissance humaine ne peut empiéter sur le pouvoir d’un juge d’instruction, rien ne l’arrête, rien ne lui commande. C’est un souverain soumis à sa conscience et à la loi.
L’indépendance interne réside dans la capacité du juge à exercer sa propre interprétation et application de la loi, libre de toute pression hiérarchique ou de collègues. Ce principe est énoncé dans la loi de 2007 relative au statut des magistrats .
L’indépendance des juges est en danger lorsque les magistrats eux mêmes se laissent influencer, dans leurs décisions, par des critères étrangers à la juste application de la loi. Ainsi par exemple:
La sensibilité excessive à la critique où la flatterie.
Ne pas faire de vague, ne pas risquer de déplaire.
Le manques de courage face à des menaces ou à des plaintes.
L’ assujettissement à des groupes d’intérêt, milieux professionnels, partis politiques, groupes religieux .
La recherche d’avantages économiques, corruption.
Alors, s’il fallait dresser froidement le portrait du juge d’instruction, le lexique de la solitude se trouverait sûrement mis à l’épreuve. Seul face à des faits les plus complexes, seul face à ses doutes, face à des textes et leur interprétation, seul face à des hommes et leurs errements, leur humanité aussi. Seul face à la vox populi .
Seul face aux médias.
Toutefois, l’emballement médiatique peut être souvent désastreux
L’indépendance externe : un bouclier contre les pressions externes.
L’indépendance externe, quand à elle, repose sur l’idée que les juges peuvent être à l’abri de toute influence extérieure.
Pour garantir cette indépendance la réforme de 2007 et le CSPJ jouent un rôle crucial. Le CSPJ est chargé de la discipline, de la carrière et de l’éthique des magistrats.
Ce système vise à protéger les juges des pressions politiques , médiatiques et garantir une séparation stricte entre les différents pouvoirs.
Or, dans cette affaire, le CSPJ n’a pas été à la hauteur des enjeux dans le traitement qu’elle l’a donné. L’attitude de l’institution ne fait pas honneur à la magistrature.
Dans un pays où l’information fuse à vitesse vertigineuse, le CSPJ n’a pas fait preuve de sagesse. Dans le tumulte des relations entre médias et justice. Le CSPJ aurait dû faire émerger la voix de la raison, la voix de la science juridique et du droit, la voix de la technicité et de la loi.
Malheureusement, cette institution a cédé à la voix des profanes et des ignorants. Lesquels croient savoir tout comprendre.
Je suis, en lisant le rapport de l’inspection de la justice, abasourdi.
Ancien élève de l’école Nationale de la Magistrature, licencié en droit , détenteur d’un troisième cycle en Droit pénal et science criminelle, formateur pour tous les barreaux du pays, professeur et ancien directeur d’école, ancien juge des enfants . Où il a laissé des traces impérissables. C’est un véritable gardien des droits du mineur.
Comment le CSPJ pourrait-il faire peser le sort d’un juge qui a servi la magistrature et la justice haïtienne pendant un quart de siècle entre les mains des journalistes qui n’ont aucune compétence en droit, encore moins dans un dossier aussi complexe?
Dans ce fameux rapport, qui n’en est pas vraiment un. J’observe avec amertume que les enquêteurs ont pris en premier lieux comme base de travail. Le bruit et la fureur médiatique . Force est de constater qu’aucun média en Haïti n’a pas un service spécialisé dans les questions police- justice. Ce sont des gens qui ne savent pas de quoi ils parles. En répétant « les médias qui ont couvert l’affaire « . C’est encore une autre erreur, dans la mesure que l’affaire n’a pas été couverte pas des journalistes. C’est tout simplement l’avocat des parents de la plaignante , qui est aussi un patron de média qui a tout organisé . En journalisme, quand un média couvre un dossier, il mobilise une équipe qui rencontre tous les protagonistes de l’affaire, qui va sur le terrain, qui prend des photos, des images, des sons . Quel média s’était rendu à la DCPJ, au parquet de port-au-prince,au centre carcéral du détenu, aux centres hospitaliers qui ont examiné le détenu au cabinet du juge instructeur? Réponse: Personne, ils ne font que répéter la version de l’avocat de la victime, qui pense qu’à l’argent. En Haïti, les journalistes et les citoyens n’arrivent pas à comprendre qu’une liberté provisoire n’est pas synonyme d’innocence pour l’accusé. Les profanes ne comprennent pas que la liberté est la règle et l’incarcération pour un inculpé qui est l’exception, surtout quand ce dernier à une garantie de représentation et qu’il s’est inséré dans la société.
Dans cette espèce, le magistrat a gardé le passeport de l’inculpé, sans oublier avec Interpol le risque de s’enfuir à l’étranger est quasi nul. Autre particularité à prendre en compte, si les faits sont avérés, il y a un bébé dans cette imbroglio judiciaire . Le magistrat n’a aucun intérêt à laisser, un détenu malade, criminel soit-il ,mourir en prison. Il faut, justement. que l’accusé puisse être jugé pour que la justice comprenne, ce qu’il s’était passé exactement, afin qu’on éviter ces gens de situation.
Le CSPJ dans son enquête, reproche au juge instructeur de ne pas relever cette erreur matérielle dans l’un des deux certificats médicaux sur lesquels le juge s’appuie pour prendre sa décision. La quelle? « n’ont permis » au lieu de permis. Pour les enquêteurs, cette erreur matérielle pourrait prêter à confusion. Ce qu’ils considèrent comme une anomalie grave. Et que l’ » omission de cette vérification est problématique, car elle aurait pu renforcer la crédibilité de la décision judiciaire tout en protégeant les droits du prévenu.
Cette lecture des enquêteurs ne tient pas debout, même une personne qui sait à peine lire n’aurait pas fait une telle interprétation. Pourquoi ? Parce que notre rédaction a procuré l’attestation médicale en question. Dont la rédaction est la suivante :
Je soussigné YX docteur en médecine et de service du centre médical Z , reconnais par la présente avoir examiné au dit centre le patient M xx au numéro -/////, les examens cliniques et para cliniques effectués sur sa personne n’ont permis de révéler :
Arthrose lombaire/ Gonarthrose/ insuffisance Rénale / Ulcère Gastrique et anémie sévère.
Son état nécessite un repos stricte et une prise en charge à domicile.
Donc en quoi ce certificat cause problème. Si effectivement , le petit n’ n’aurait pas dû être là, en revanche l’absence de « pas « après permis, et l’énumération de la liste de maladies que souffre le détenu / malade et la conclusion du certificat médical « son état nécessite un repos strict et une prise en charge à domicile « est sans équivoque pour n’importe quelle lecteur moyen.
En suite le CSPJ souligne que le juge BÉLABRE aurait dû demander un contre expertise. Or les deux certificats médicaux, l’un en octobre, l’autre en décembre disent la même chose. Donc, il n’en aurait pas besoin un autre, surtout ce n’est pas le tribunal qui s’acquitte de ces frais médicaux. D’autant que à aucun moment donné, les enquêteurs de l’inspection judiciaire n’ont fait mention d’une quelconque audition des deux médecins qui avaient délivré les deux certificats médicaux, ni auditionner un médecin expert pour savoir si ces types de maladies étaient compatibles à une incarcération.
De surcroît , aucune des personnes auditionnées n’a fait mention d’une quelconque avantage en nature ou en espèce qu’ aurait reçu le magistrat( FJK, RNDDH, les journalistes entre autres). Au contraire les deux organismes des droits humains, ont reconnu en juge BÉLABRE, un homme sérieux et compétent.
Le magistrat est un homme, or tout homme, aussi compétent soit-Il peut commettre des erreurs, même si ici , il n’en a pas commise. Les juges , français, canadiens, américains partout dans le monde commettent des erreurs. Parfois ce sont des innocents qui restent en prison des dizaines d’années, parfois c’est l’inverse des coupables qui auraient dû être condamnés, qui échappent à la justice. On les sanctionne-t-ils . La réponse est négative. Au contraire, souvent c’est la responsabilité de l’Etat qui est engagée. De surcroît, il y a un fonds alloué dans le budget pour l’indemnisation d’une victime d’erreurs judiciaires. La seule raison pour laquelle un juge doit être sanctionné, c’est pour la corruption.
Mais une question préjudicielle se pose. La première vertu du juge d’instruction, n’est -ce pas son indépendance?
Magistrat du siège, il est à l’abri de toute injonction médiatique ,c’est un être singulier.
Le CSPJ n’est pas s’en savoir que le juge d’instruction applique la loi au nom du peuple haïtien, pas au nom des journalistes et des médias.
Pour que la justice soit respectée, il faut qu’elle soit réellement indépendante.
Et c’est à cela que le CSPJ doit travailler.
La vérité judiciaire est très complexe par son hétérogénéité. Elle n’est pas la même ni pour le magistrat, ni pour le commissaire du gouvernement, ni pour le parquet, ni pour l’inculpé, ni pour le plaignant, ni même pour les avocats. Cependant elle s’ordonne autour de trois axes : augmenter les libertés individuelles, améliorer la loi par son application et faite en sorte que toute bonne foi soit entendue et reconnue à sa juste place.
Pour rappel, ce même juge d’instruction avait accordé , sur requête de ce même Jean Renel SÉNATUS, qui est aujourd’hui l’avocat de la plaignante, une liberté provisoire au député Cholzer Chancy en application de l’article 80 du code d’instruction criminelle et pour cause humanitaire. Oui, à ce moment de l’histoire judiciaire Merlan BÉLABRE était un formidable juge pour Me SÉNATUS .Le problème c’est que ce magistrat ne fait pas de différence entre riche et pauvre , célèbre ou anonyme. Son boussole c’est la loi et sa conscience.
Alors deux recommandations s’imposent :
- Soit le CSPJ prend le problème à bras le corps, en organisant des sessions de formations pour les journalistes qui souhaitent traiter des affaires judiciaires . Et le CSPJ peut , aussi, créer des émissions audiovisuelles
Ou encore une chaîne YouTube et une page Facebook pour former les citoyens.
2- Autre option, préparer des réformes pour soumettre au législateur, en vue de créer une chambre de l’instruction qui permettra à une partie ou le commissaire du gouvernement d’interjeter appel de la décision du juge d’instruction, si une partie se sent laissée par une décision rendue par ce dernier.
L’indépendance de la justice est une valeur essentielle dans un État de droit. Mais elle doit être constamment protégée et renforcée.
Si l’on n’y prend pas garde le système médiatique emportera le système du juge d’instruction, gardien des libertés individuelles.