Le désarroi et la colère des agents de la fonction publique face au dysfonctionnement et la corruption des employés de la Banque de la République d’Haiti qui réclament jusqu’à 15% de commission pour l’échange des chèques dans un circuit parallèle, relève Willy DESULMA, directeur adjoint de la rédaction « ALTERNANCE MÉDIA « dans sa chronique…

Port-au-Prince, 16 avril 2025 La Banque de la République d’Haïti (BRH), pilier supposé de la stabilité économique nationale, est aujourd’hui le théâtre d’un désordre profond, d’une désorganisation chronique et d’un réseau bien huilé de corruption interne. Alors qu’elle détient le monopole du service de change de chèques pour les fonctionnaires et les bénéficiaires de subventions de l’État dans la région métropolitaine, la BRH fonctionne dans des conditions anormales. En plein cœur d’une zone classée rouge, sous le contrôle de groupes armés issus de la coalition « Viv Ansanm », la banque centrale continue de recevoir quotidiennement des centaines de citoyens contraints de venir changer leur chèque, faute d’alternative institutionnelle. Depuis plus d’un an, elle fonctionne à horaire réduit, de 10h à 14h, parfois moins. Ce qui choque davantage : la BRH, pourtant superviseur du système financier, travaille en moyenne quatre heures par jour, bien moins que la majorité des banques commerciales du pays, qui, elles, ouvrent leurs portes dès 8h30 et ferment à 3h ou 4h de l’après-midi. Une réalité alarmante pour une institution dont la mission inclut un regard constant sur la régulation monétaire et la stabilité macroéconomique du pays.

Ce mercredi 16 avril 2025, notre équipe d’Alternance Media TV s’est rendue sur place pour observer la situation. Sur le terrain, plus de 200 personnes faisaient la file sous le son des coup de feu permanents, sans aucune garantie d’être servies. À midi passé, aucun cadre de la BRH ne s’était présenté pour informer les citoyens de la suite des opérations. Interrogés, les agents de sécurité ne disposaient d’aucune information. L’un d’eux répond simplement : « Je ne sais pas, vous n’avez qu’à attendre. » À 11h, sur insistance de la foule, un agent de sécurité chargé d’accompagner certains employés dans des véhicules blindés sur instruction directe du directeur de la banque passe un appel au même directeur. Celui-ci répond : « Nous sommes en stand-by(en attente). Dites-leur de patienter jusqu’à 13h. » Jusqu’à la dispersion progressive de la foule, aucune annonce officielle ne fut faite. L’un de nos reporters a été le dernier à quitter les lieux à 13h30, sans que la banque ait ouvert ses portes. Entre-temps, de nombreux usagers, riverains des zones différentes, ont dû braver des routes extrêmement dangereuses, contrôlées par des bandes armées, simplement pour accéder à ce service vital. C’est une humiliation de plus pour des citoyens déjà écrasés par les effets de l’inflation, l’insécurité et le mépris des institutions.

Au-delà de cette désorganisation visible, un système parallèle s’est développé à l’intérieur même de la BRH. Un réseau composé d’agents et employés de la banque opère dans l’ombre, échangeant les chèques de particuliers contre espèces avec une commission allant de 10 à 15 %. « Un agent nous a personnellement approchés dans la file d’attente pour proposer de racheter notre chèque à un taux de 13 % ». Témoigne un vieux homme qui etait dans la file d’attente. Cette pratique illégale, en plus de violer les règles de traitement des chèques nominatifs, contribue à institutionnaliser la corruption dans un espace censé incarner l’exemplarité. Selon des témoignages internes, certains employés de la BRH manipulent des lots de plus de 1 000 chèques, appartenant à des tiers, en échange d’une commission voisine de 5% du montant inscrit sur la cheque. Ainsi, pour un chèque de 50 000 gourdes, un fonctionnaire peut se voir retirer 2 500 gourdes, sans aucun cadre légal. Cette dérive se déroule sous les yeux et avec la complicité tacite de certains cadres supérieurs, selon nos sources. Une source affirme même que « des guichets peuvent rester fermés, pendant qu’une caissière gère discrètement des centaines de chèques pour des clients invisibles( qui sont dans ces activités quotidiennes)»

Ces dérives montrent à quel point l’État haïtien est fragilisé jusque dans ses structures les plus stratégiques. La BRH, censée veiller à la discipline monétaire, à la stabilité financière et à la régulation du crédit, se transforme sous nos yeux en institution défaillante. Selon le professeur d’économie haïtien Kesner Pharel, « une banque centrale doit avoir la crédibilité de ses politiques et la régularité de ses opérations pour inspirer confiance dans le système financier ». Aujourd’hui, cette crédibilité est gravement entamée. La banque ne répond plus aux standards de fonctionnement minimums, ce qui nuit à sa capacité d’encadrement du secteur bancaire national. Elle donne l’image d’un État incapable de garantir les droits les plus élémentaires à ses agents publics. Cette situation ne fait que creuser davantage le fossé entre les citoyens et leurs institutions. Elle rappelle l’urgence d’une réforme en profondeur du système bancaire haïtien, où gouvernance, transparence, accessibilité et décentralisation ne peuvent plus rester des slogans creux. Il ne s’agit pas d’une simple irrégularité administrative, mais d’un effondrement silencieux de l’autorité de l’État, exposé jour après jour sur le parvis d’une banque centrale en perte de repères.

Pourquoi, malgré la dégradation de la sécurité autour de la BRH, les autorités monétaires n’autorisent-elles pas les fonctionnaires à échanger leurs chèques dans d’autres banques comme la BNC ? N’y a-t-il pas un lien entre cette centralisation forcée et le développement d’un marché parallèle d’échange de chèques contre commissions ? Pourquoi, alors que des villes de province permettent l’échange à la BNC, cela reste impossible à Port-au-Prince ? Comment des employés de la BRH peuvent-ils encaisser plusieurs chèques sans la présence des titulaires, pourtant exigée par les règles officielles ? Et pourquoi la tentative d’ouverture du service d’échange des cheque à la BPH, bien accueillie par les usagers, n’a-t-elle duré que deux mois ? Pendant ce temps, la zone où se situe la BRH devient de plus en plus risquée, inaccessible et dominée par des groupes armés. Les autorités ne peuvent-elles pas adapter le service public à la réalité du pays ? Ces questions doivent être posées, car elles touchent à la transparence, à la gouvernance et à l’équité d’accès aux services financiers de l’État.

By Willy DESULMA

Willy DÉSULMA, Normalien diplômé de l’École Normale Supérieure et économiste formé à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti, est journaliste et responsable de l’information à Alternance Média TV. Passionné par la diffusion d’une information claire et fiable, il s’engage à informer avec rigueur et professionnalisme. Expert en analyse économique et éducation, il combine savoir et expertise pour éclairer l’actualité et contribuer au débat public.