Par Réginal Saint- Élus: économiste, professeur de mathématiques et d’économie , journaliste économique pour ALTERNANCE MÉDIA

La criminalité organisée en Haïti trouve ses racines dans les milices des volontaires de la sécurité nationale (VSN), crées par François Duvalier en 1959. Ces milices, connues sous le nom de « Tontons Macoutes », étaient tristement célèbres pour leur crimeet leur impunité. Leur autorité, renforcée par des chefs vaudous, leur permettait de commettre des atrocités sans sanctions sociales
Apres l’exil de Jean-Claude Duvalier en 1986, les anciens membres des Tontons macoutes ont formé des gangs appelés « Attaché », souvent au service d’autres groupes criminels ou de politiciens. Jean-Bertrand Aristide, lors de son premier mandat, a été accusé de créer sa propre milice « les Chimères », pour soutenir son camp politique. En 2004, Aristide a été chassé du pouvoir par des groupes paramilitaires. La MINUSTAH, une mission de l’ONU, a été déployée pour stabiliser le pays mais n’a pas réussi à contenir les troubles. Le séisme de 2010 a aggravé la situation en favorisant l’évasion de criminels et en créant un vide de pouvoir exploité par les gangs.
Depuis 2020, Port-au-Prince est le théâtre d’une guerre entre les gangs, avec des luttes pour le contrôle des territoires et des routes. L’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 a encore accru l’instabilité, renforçant le pouvoir des gangs. Aujourd’hui, selon le rapport de l’ONU, 300 gangs contrôlent une grande partie de la capitale.

De nos jours, on constate que la recrudescence des actes criminels a atteint un niveau alarmant, plongeant le pays dans une crise profonde dépassant les frontières de la sécurité. Cette insécurité généralisée, orchestrée par des gangs armés de plus en plus puissants, a des répercussions sur l’économie nationale. Les activités économiques sont paralysées, les investissements sont en chute libre, et la stabilité financière du pays est gravement compromise. Les conséquences sociales sont tout aussi dramatiques, avec une pauvreté accrue et des déplacements massif de population.
Dans cet article, nous allons explorer en détail comment la criminalité affecte les activités économiques, la stabilité économique du pays et les conséquences sociales qui en découlent. Nous examinerons également les réponses possibles pour inverser cette tendance et redynamiser l’économie haïtienne.
En s’agissant sur la théorie économique du crime de Gary Becker publiée en 1968, on peut analyser l’impact de la criminalité sur l’économie haïtienne. Selon cette théorie, les criminels évaluent les coûts et les bénéfices de leurs actions de manière rationnelle. En Haïti, les individus appliquent ce principe en choisissant des stratégies criminelles basées sur les gains potentiels par rapport aux risque de punition. C’est-à-dire que les gangs ont agi rationnellement en estimant que les gains dépassent les coûts, y compris les sanctions sociales légales. Dans un pays, comme Haïti, où la probabilité d’être arrêté et puni est souvent faible, les gangs peuvent considérer que les bénéfices l’emportent sur les risques de punition.
Impact sur l’Activité Économique
Les activités économiques ont des conséquences dévastatricessur l’économie haïtienne. En bloquant des routes ou en extorquant des fonds, les gangs paralysent les activités économiques, réduisent les opportunités d’emploi et augmentent les coûts pour les entreprises (Banque mondiale, 2020). Cela décourage les investissements, réduit la croissance économique et aggrave la pauvreté. Les entreprises doivent intégrer dans leurs coûts les dépenses supplémentaires liées à la sécurité, ce qui peut les amener à fermer ou à réduire leurs activités, exacerbant ainsi le chômage.
Effet sur la Stabilité Économique
Selon la théorie économique du crime de Gary Becker, les entreprises doivent intégrer dans leurs coûts les dépenses supplémentaires liées à la sécurité, telles que les coûts de protection et les pertes dues aux vols. Ces coûts augmentent les « coûts » associés aux activités économiques, rendant moins attractifs les investissements dans le pays. En effet, l’insécurité généralisée en Haïti, avec des gangs contrôlant une grande partie de Port-au-Prince, décourage les investisseurs étrangers et nationaux. Les investisseurs potentiels hésitent à s’engager dans un environnement où les risques de pertes financiers sont élevés. Par exemple, les conseils de voyage du gouvernement canadien mettent en garde contre les risques de vols et d’enlèvements, ce qui renforce la perception d’un environnement hostile aux affaires (conseils de voyage.gc.ca, 2023). Cette situation est particulièrement préoccupante pour les petites et moyennes des entreprises (PME), qui ont souvent des ressources limitées pour faire face aux coûts supplémentaires liées à la sécurité.
Les répercussions macroéconomiques de cette situation sont significatives. L’augmentation des coûts pour les entreprises se traduit souvent par une hausse des prix, contribuant à l’inflation. En même temps, la réduction des investissements et des activités économiques entraine une baisse de la croissance économique. En Haïti, cette situation est exacerbée par la dépendance à l’égard des importations, ce qui rend l’économie vulnérable aux fluctuations des prix internationaux. Par conséquent, l’inflation et la réduction de la croissance economique sont des conséquences directes de l’instabilité sécuritaire.
Enfin, l’instabilité économique due à la criminalité affecte également la stabilité financière du pays. Les banques et les institutions financières sont souvent ciblées par des vols, ce qui réduit la confiance dans le système financier et limiter l’accès su crédit pour les entreprises et les particuliers (Conseils de voyage.gc.ca,2023). Cela crée un cercle vicieux où l’instabilité financière renforce l’instabilité économique, rendant encore plus difficile la reprise économique du pays.
Reginald Saint- Elus , économiste, professeur de mathématiques et d’économie, journaliste économique pour le site d’information ALTERNANCE MÉDIA : est diplômé de la faculté de Droit et des sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti.
