Avec Mathieu YLISSE, notre correspondant sur place en République dominicaine

Agamise CHERENFANT dort avec la peur, mange avec la peur, travaille avec la peur. Son crime ? Être né Haïtien. Et vouloir vivre.

Tandis qu’Haïti s’effondre sous la coupe des gangs, pendant que des familles entières fuient les rafales et les ravisseurs, de l’autre côté de la frontière, en République dominicaine, l’hostilité est érigée en politique d’État. Ce n’est plus une fermeté migratoire. C’est une brutalité systémique.

Depuis l’arrivĂ©e au pouvoir de Luis Abinader, la RĂ©publique dominicaine expulse les HaĂŻtiens par vagues. Plus de 200 000 reconduites Ă  la frontière en six mois. Un chiffre qui ferait frĂ©mir n’importe quelle organisation humanitaire… sauf qu’ici, la mĂ©thode est assumĂ©e, applaudie, Ă©lectoralement rentable. On expulse des ouvriers agricoles, des cuisiniers, des femmes qui viennent d’accoucher. Des ĂŞtres humains rĂ©duits Ă  un simple problème logistique.

Sur le terrain, Mathieu YLISSE, notre correspondant, confirme que la peur s’est installĂ©e jusque dans les plantations, oĂą les travailleurs haĂŻtiens se cachent après chaque journĂ©e de labeur, souvent contraints de dormir dans les champs pour Ă©viter les rafles nocturnes.

Le paradoxe est flagrant : l’économie dominicaine survit grâce aux HaĂŻtiens. Dans les bananeraies de Mao, dans les hĂ´tels de Punta Cana, sur les chantiers de Saint-Domingue, ce sont les mains haĂŻtiennes qui bâtissent, rĂ©coltent, cuisinent, nettoient. Mais ces mains sont devenues invisibles. Ou plutĂ´t, indĂ©sirables.

La crise migratoire n’est pas seulement une crise humanitaire. Elle rĂ©vèle une crise morale. Celle d’un pays qui exploite une population sans lui accorder de droits. Celle aussi d’une communautĂ© internationale qui dĂ©tourne les yeux pendant que le peuple haĂŻtien est jetĂ© hors de ses frontières, pourchassĂ© dans les champs, traitĂ© comme du bĂ©tail humain.

Et que dire d’Haïti ? Ce pays martyrisé n’offre aujourd’hui ni refuge, ni espoir. Il laisse ses fils et ses filles affronter seuls les périls de l’exil, pendant que ses dirigeants, absents ou impuissants, se perdent dans des débats stériles et des querelles de pouvoir.

Oui, Haïti est en ruines. Mais ce n’est pas une excuse pour tolérer l’indignité. Aucun État n’a le droit de criminaliser le désespoir.

Nous appelons les autoritĂ©s dominicaines Ă  cesser les expulsions arbitraires, Ă  ouvrir un vĂ©ritable dialogue sur la rĂ©gularisation des travailleurs haĂŻtiens, et Ă  reconnaĂ®tre leur rĂ´le central dans l’économie nationale. La migration n’est pas une menace. C’est une consĂ©quence.

Enfin, nous interpellons les instances rĂ©gionales, de la CARICOM Ă  l’Union europĂ©enne, pour qu’elles exigent le respect du droit international humanitaire et soutiennent une solution politique durable Ă  la crise haĂŻtienne.

Aujourd’hui, l’île d’Hispaniola porte la honte de deux nations. Une honte que seule la justice pourra effacer.

By Tanes DESULMA

Tanes DESULMA, Rédacteur en chef d’Alternance-Media, je suis diplômé en journalisme de l’ICORP et en droit public de l’École de Droit de La Sorbonne. Passionné par l’information et la justice, je m’efforce de proposer un journalisme rigoureux et engagé.