Haïti traverse l’un des moments les plus sombres de son histoire contemporaine. Tandis que la violence des gangs ronge le tissu social, l’exil devient, pour beaucoup, la seule issue. Pourtant, même cet exil se referme : les États-Unis, autrefois considérés comme refuge, ferment aujourd’hui leurs portes aux ressortissants haïtiens. Et dans cette décision brutale, se révèle un fait profond : Haïti est ostracisée. Politiquement, économiquement, humainement.
La récente interdiction d’entrée sur le territoire américain pour les Haïtiens s’ajoute à une série de politiques migratoires de plus en plus restrictives. Nombreux sont ceux qui, via le « Programme Biden », avaient vendu leurs biens, abandonné leur vie, pour chercher la paix ailleurs. Ils se retrouvent bloqués, parfois menacés d’expulsion. Une double peine pour des citoyens déjà victimes du chaos intérieur.
Mais cet isolement ne date pas d’hier. Il est le fruit d’une histoire longue, tissée de rapports de force inégaux. La Doctrine Monroe, censée affirmer une solidarité entre les nations américaines, a été détournée au profit d’une hégémonie américaine sans partage. Le slogan « L’Amérique aux Américains » est devenu, en pratique, « L’Amérique aux États-Unis ». Le reste du continent, particulièrement les nations caribéennes, est relégué à la périphérie — ou, dans le cas d’Haïti, à l’oubli.
Et pourtant, cette mise à l’écart pourrait provoquer un électrochoc salutaire. Face au refus de l’étranger, il devient urgent de se regarder soi-même. Haïti ne peut plus se permettre de déléguer son destin à des puissances extérieures. Comme le disait l’écrivain Ruta Sepetys : « Les grandes décisions façonnent notre destinée. » Ce rejet pourrait devenir le point de bascule d’une prise de conscience nationale.
Il est temps de rompre avec les élites soumises, ces « esclaves de salon » décrits par Ibrahim Traoré, et de renouer avec un véritable engagement citoyen, un patriotisme de reconstruction. L’histoire nous enseigne que des peuples ostracisés ont su renaître dans l’adversité. Haïti peut, elle aussi, faire de ce rejet un levier de transformation.
Coluche disait : « La vie mettra des pierres sur ta route. À toi de décider si tu en fais un mur ou un pont. » Haïti peut choisir d’en faire un pont. Un pont vers une souveraineté retrouvée, une gouvernance assainie, un peuple debout.
Car si l’ostracisme isole, il peut aussi révéler ce que nous avons de plus essentiel : la volonté d’exister par nous-mêmes, pour nous-mêmes.