Deux semaines après la rentrée officielle, les écoles haïtiennes peinent à retrouver un rythme normal. Salles de classe clairsemées, enseignants démotivés, personnels épuisés : le constat est alarmant.

Pendant que des milliers d’enseignants survivent avec 18 000 gourdes par mois, souvent versées en retard, le ministre de l’Éducation disposerait de plus de 30 000 gourdes par jour pour sa consommation personnelle. Un déséquilibre choquant qui révèle l’ampleur de l’injustice sociale.

Selon l’approche de l’optimum de Pareto, aucun progrès durable n’est possible sans une redistribution sérieuse des ressources et privilèges dans le secteur éducatif.

Une équipe d’Alternance Média TV a mené une enquête dans plusieurs écoles de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Les témoignages recueillis dressent un tableau sombre.

Une rentrée sans âme

Dans les salles de classe, le silence remplace les rires et la curiosité des élèves. Les enseignants, eux, tentent de cacher leur désarroi face à des salaires incertains et souvent en retard.

🗣️ « Mwen pa gen ankourajman ankò. Chak ane, se menm mizè a », confie une enseignante d’une école publique à Delmas.

🗣️ « Nou tounen lekòl, men pa gen anyen ki chanje », ajoute un élève de neuvième année.

Ces paroles résonnent comme un constat d’abandon. L’école perd peu à peu son pouvoir de transformation.

Enseigner ou survivre ?

Avec un salaire moyen de 18 000 gourdes par mois, perçu parfois après plusieurs mois, l’enseignant haïtien vit dans une précarité insoutenable. Pendant ce temps, le ministre de l’Éducation dépenserait plus de 30 000 gourdes par jour rien que pour ses repas.

🗣️ « Mwen touche apre twa mwa, men Minis la depanse plis pase 30 000 goud pa jou pou manje li ! », s’indigne un professeur de lycée.

Un contraste indécent qui illustre le gaspillage administratif.

D’un point de vue économique, tant que les privilèges des dirigeants ne seront pas revus pour revaloriser les enseignants, aucune amélioration collective n’est possible.

Une profession dévalorisée

L’enquête révèle aussi un phénomène inquiétant : dans de nombreuses écoles privées, des personnes non formées deviennent enseignants par simple nécessité économique.

🗣️ « Yo pran nenpòt moun k ap chèche travay pou anseye timoun yo. Pa gen okenn kontwòl, » déplore un directeur d’école à Carrefour.

Les institutions spécialisées comme l’École Normale Supérieure ou le Centre de Formation des Cadres Pédagogiques sont négligées, alors qu’elles devraient être au cœur du système.

Une réforme sérieuse devrait garantir qu’au moins 60 % des enseignants soient des professionnels formés.

L’élève sans boussole

Les élèves, eux aussi, affichent leur découragement. Beaucoup fréquentent l’école « par obligation » et non par conviction. L’inflation, l’insécurité et la pauvreté fragilisent leur rapport à l’éducation.

🗣️ « Mwen pa wè avni m nan lekòl ankò, paske paran m pa ka peye tout frè yo, » témoigne une élève de terminale.

🗣️ « Pwofesè yo pa ankouraje nou, paske yo menm yo dekouraje, » ajoute un autre.

Chaque élève qui abandonne représente une promesse trahie. Chaque enseignant découragé, une génération sacrifiée.

Pour un sursaut national

Redonner vie à l’école haïtienne exige un rééquilibrage structurel :

réduire le train de vie des dignitaires, investir dans la formation continue, assurer un paiement ponctuel et juste des enseignants, imposer des critères de recrutement rigoureux.

Les syndicats doivent également hausser le ton : il ne s’agit plus seulement de salaires, mais de reconnaissance professionnelle. Si enseigner reste une voie de survie plutôt qu’un choix noble, les jeunes talents fuiront ce métier vital.

Sauver l’école, sauver Haïti

Les témoignages recueillis par Alternance Média TV traduisent une urgence nationale. Le pays ne pourra se relever sans restaurer la dignité de ses enseignants.

Comme le rappelle la logique de Pareto, le progrès collectif n’est possible que si les plus privilégiés acceptent de réduire leurs excès pour améliorer la condition de ceux qui portent la mission du savoir.

Revaloriser l’éducation, c’est redonner un sens à la République.

Sans école forte, Haïti n’aura ni avenir, ni dignité.

By Willy DESULMA

Willy DÉSULMA, Normalien diplômé de l’École Normale Supérieure et économiste formé à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti, est journaliste et responsable de l’information à Alternance Média TV. Passionné par la diffusion d’une information claire et fiable, il s’engage à informer avec rigueur et professionnalisme. Expert en analyse économique et éducation, il combine savoir et expertise pour éclairer l’actualité et contribuer au débat public.

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