
Haïti: Un système éducatif en pleine tourmente
En Haïti, l’éducation n’est pas seulement un droit fondamental, mais un moteur essentiel pour le développement économique, social et culturel. Pourtant, elle traverse une crise alarmante. Selon l’UNICEF, environ 500 000 enfants haïtiens étaient déjà exclus du système scolaire en 2022, et ce chiffre augmente chaque année. La montée de l’insécurité, l’inflation record, les conditions précaires des enseignants et les infrastructures inadaptées aggravent daventage cette situation.
Comme le disait Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde. » Mais en Haïti, cette arme semble rouillée, délaissée, incapable de remplir sa mission.La situation actuelle invite à une réflexion collective sur l’avenir de l’éducation dans le pays. Quels espoirs pouvons-nous nourrir pour les générations futures si les enseignants, acteurs centraux de ce secteur, sont délaissés ? Comment garantir un accès équitable à une éducation de qualité lorsque l’insécurité force des milliers d’enfants à fuir leurs écoles ? Cet article propose une analyse approfondie de ces défis, tout en lançant un appel à l’action pour sauver ce secteur vital. Il est urgent d’agir.
L’insécurité : Un frein majeur à l’éducation
L’insécurité généralisée en Haïti a un impact direct sur l’éducation. Selon un rapport de l’UNESCO, en 2023, près de 1 700 écoles ont dû fermer leurs portes temporairement ou définitivement en raison des violences dans les zones urbaines et rurales. Cette situation touche principalement les lycées et écoles publiques des quartiers sensibles, notamment à Port-au-Prince.
De nombreux élèves et enseignants vivent dans une peur constante. Les familles hésitent à envoyer leurs enfants à l’école, surtout lorsque celle-ci est située dans une zone contrôlée par des gangs. Un cas emblématique est celui du Lycée Fritz Pierre-Louis, qui a dû s’éloigner de son voisin, le Palais national, en raison de l’insécurité qui règne dans la zone. Actuellement, il fonctionne dans des conditions pénibles et inacceptables, installé dans des espaces inappropriés pour un établissement scolaire. Sans nulle doute, ce lycée ressent une profonde nostalgie de son ancien emplacement, où il partageait une barrière commune avec le Palais national, symbole d’une proximité aujourd’hui perdue.
Le LNCF, supporte le malheur des autres
Paradoxalement, le Lycée National de Carrefour-Feuilles connaît une demande croissante de la part d’élèves cherchant à y poursuivre leur scolarité, leurs propres établissements étant soit dysfonctionnels, soit incapables d’accueillir tous les élèves faute d’espaces suffisamment vastes. Bien que les salles de ce lycée soient modestes (petites), les responsables n’ont d’autre choix que d’optimiser au maximum les espaces disponibles pour répondre à cette affluence inattendue. Ces salles deviennent alors surchargées, reflétant une gestion d’urgence qui ne peut que saper davantage la qualité de l’enseignement.
La situation est encore plus critique pour les écoles déplacées, qui s’installent dans des espaces inappropriés. Ces écoles manquent de ressources, et les conditions d’apprentissage y sont désastreuses. Si rien n’est fait pour rétablir un climat de sécurité, l’éducation haïtienne continuera de sombrer, menaçant de sacrifier toute une génération.
Des enseignants délaissés : le salaire misérable au cœur du problème
Les enseignants, piliers de toute société, sont parmi les plus affectés par cette crise. Le salaire moyen d’un professeur en Haïti tourne autour de 15 000 à 20 000 gourdes par mois, soit environ 130 à 175 dollars américains, selon le taux de change actuel. Selon l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), l’inflation avoisine les 55 % en novembre 2024, rendant ce salaire encore plus insuffisant. Ce montant est loin de répondre aux besoins fondamentaux ( la nourriture, le logement et les soins médicaux) dans un contexte d’inflation galopante.
Le récent budget présenté par le gouvernement avait suscité l’espoir d’un ajustement salarial pour les enseignants. Cependant, cet espoir a été vite anéanti, laissant les professeurs déçus et démotivés. Nombre d’entre eux abandonnent le métier pour chercher des opportunités à l’étranger ou se reconvertissent dans d’autres secteurs.
Comparaison avec d’autres pays de la région :
Pour mettre en perspective la précarité des enseignants haïtiens, comparons leur salaire avec celui de leurs homologues dans d’autres pays :
- République Dominicaine : Le salaire moyen d’un enseignant est d’environ 500 USD par mois.
- Panama : Les enseignants gagnent en moyenne 1 200 USD par mois, avec des avantages sociaux et des primes.
- Mexique : Un enseignant débutant perçoit environ 900 USD par mois, avec des augmentations selon l’expérience.
Cette comparaison montre à quel point les enseignants haïtiens sont négligés. Un professeur dominicain gagne près de quatre fois plus qu’un professeur haïtien, dans un contexte où le coût de la vie en République Dominicaine n’est pas forcément quatre fois plus élevé.
Comme le soulignait Paulo Freire : « Enseigner, ce n’est pas transmettre un savoir, c’est créer les possibilités pour sa propre production ou construction. » Pourtant, en Haïti, les enseignants n’ont même pas les moyens de subvenir à leurs besoins, encore moins ceux de leurs familles.
Les enseignants ne demandent pas des privilèges, mais une reconnaissance juste et équitable de leur travail. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de garantir leur survie, mais aussi de pouvoir offrir une éducation de qualité, un socle indispensable pour l’avenir de la nation.
« Lekòl paka tann », mais les professeurs sont oubliés
L’ancien ministre Nesmy Manigat a rappelé avec justesse que « Lekòl paka tann ». Pourtant, comment ce slogan peut-il se concrétiser si les professeurs, l’un des piliers fondamentaux du système éducatif, sont traités en parents pauvres ? Rien n’est fait pour leur permettre de se consacrer pleinement à leur mission d’enseigner. Par exemple, de nombreux enseignants passent des heures interminables dans les files d’attente des banques, pour effectuer des transactions qui ne prennent souvent que quelques minutes. Ce temps perdu, qui devrait être consacré à la préparation et à la dispense des cours, témoigne d’un manque criant de considération pour ces professionnels essentiels. Sans une réforme concrète visant à alléger ces contraintes, le système éducatif continuera de stagner, malgré les slogans prometteurs.

Valoriser le métier d’enseignant : une urgence nationale
En Haïti, les enseignants, souvent parmi les élèves les plus brillants et disciplinés, finissent dans la précarité pour avoir choisi cette noble profession. Cela décourage les vocations et renforce le désintéressement des jeunes, qui ne voient plus l’enseignement comme une carrière valorisante. Aujourd’hui, il suffit de demander dans une classe combien d’élèves souhaitent devenir enseignants pour constater ce désamour.
Pour inverser cette tendance, il est urgent d’adopter des mesures concrètes, comme:
- Une Revalorisation salariale : Rehausser le salaire des enseignants pour qu’il atteigne au moins 500 USD par mois, comme en République Dominicaine, est une étape essentielle pour leur redonner dignité et motivation.
- La Mise en place de cartes de débit prépayées (tikat) : Cette initiative pourrait simplifier l’accès des enseignants à leurs salaires, tout en facilitant la gestion de leurs dépenses.
- L’Investissements dans la formation continue : En Haïti, environ 30 % des enseignants n’ont pas de formation professionnelle adéquate. Offrir des programmes de formation réguliers améliorerait non seulement leurs compétences, mais aussi la qualité de l’éducation.
- Une carte de santé dédiée* : Offrir aux enseignants une carte de santé leur donnant accès à des soins de qualité dans des établissements de santé partenaires. Cette mesure garantirait leur bien-être physique et mental, conditions indispensables pour enseigner efficacement.
- Une carte VIP bancaire* : Mettre en place une carte VIP réservée aux enseignants leur permettant d’accéder rapidement aux services bancaires, sans avoir à attendre des heures dans des files d’attente. Il est inadmissible qu’un enseignant, qui travaille en moyenne 8 heures par jour, perde 6 heures dans une banque simplement pour effectuer une transaction.
Ces initiatives revaloriseraient le métier, encourageraient les jeunes à s’y engager et renforceraient le rôle clé des enseignants dans la société, tout en améliorant l’avenir de l’éducation en Haïti.
Les syndicats jouent un rôle crucial dans cette lutte, mais il est important qu’ils agissent pour l’intérêt collectif et non pour des agendas personnels.

Les infrastructures scolaires : Des lieux en ruine ou inexistants
En plus des conditions de vie précaires des enseignants, les infrastructures scolaires en Haïti laissent à désirer. Selon une étude menée par l’UNICEF en 2022, environ 70 % des écoles publiques fonctionnent sans électricité, sans accès à l’eau potable et avec des bâtiments délabrés.
Certaines écoles publiques, notamment dans les zones rurales, ne disposent même pas de toilettes adéquates. Les salles de classe sont souvent surchargées, avec parfois jusqu’à 60 élèves par enseignant, bien au-delà de la norme recommandée par l’UNESCO (environ 25 élèves par classe).
Les écoles publiques représentent un espoir pour les familles à faibles revenus, mais leur manque de ressources et leur gestion inefficace en font des lieux d’apprentissage de faible qualité.
Les futurs enseignants : Construire un système exigeant et durable
Les étudiants des institutions telles que : ENS, CFEF, FIA, … représentent l’avenir de l’enseignement en Haïti. Ces futurs enseignants doivent se former dans un esprit d’excellence, tout en exigeant des conditions de travail décentes avant d’intégrer le système éducatif.
Il leur appartient également de comprendre les besoins spécifiques des élèves et de participer activement à la transformation du système éducatif, en collaboration avec les décideurs.
Comme le disait Paulo Freire : « L’éducation est un acte d’amour, et par conséquent, un acte de courage. » Pourtant, ce courage est aujourd’hui mis à rude épreuve par des conditions de vie et de travail de plus en plus insoutenable.

En fin,
Quel avenir pour l’éducation en Haïti?
L’éducation haïtienne est à un tournant critique. Si rien n’est fait pour résoudre les problèmes actuels, le pays continuera à perdre ses enseignants qualifiés, à voir ses écoles se vider, et à compromettre l’avenir de ses jeunes.
Pourtant, comme l’a si bien dit l’écrivain Victor Hugo : « Ouvrir une école, c’est fermer une prison. » En investissant dans l’éducation, en valorisant les enseignants et en réhabilitant les infrastructures, Haïti peut encore espérer un avenir meilleur.
Il est temps que le gouvernement, les syndicats et la société civile se mobilisent pour donner à l’éducation la place qu’elle mérite. Parce qu’un pays qui néglige ses enseignants et ses élèves hypothèque son propre développement.
Willy Desulma, Normalien-Économiste Journaliste et Enseignant.



