Pendant que des milliers d’enfants haïtiens abandonnent l’école faute de moyens, que des étudiants universitaires peinent à imprimer leur mémoire de fin d’études, le Fonds National de l’Éducation (FNE) dilapide des millions de gourdes pour sponsoriser des tournois de football ou arroser des médias influents. Une dérive silencieuse mais profonde, révélatrice de la déconnexion entre les besoins réels de la population et les pratiques d’un organisme censé porter l’espoir d’un avenir éducatif meilleur. Analyse , dans son éditorial, Willy DESULMA, Normalien , économiste et directeur adjoint de la rédaction «  ALTERNANCE MÉDIA « .


Créé en 2017 pour renforcer l’accès gratuit à l’éducation en Haïti, le FNE devait être un outil de justice sociale. Son mandat ? Appuyer la scolarisation des enfants, construire des écoles, équiper les établissements, offrir des repas chauds, garantir aux plus vulnérables une place digne sur les bancs scolaires.

Mais dans les faits, cette mission noble semble aujourd’hui détournée. Loin de soutenir les écoles publiques en ruine, les cantines à sec, ou les élèves sans matériel, le FNE distribue plusieurs millions de gourdes à des journalistes pour retransmettre des compétitions sportives éphémères, comme la Gold Cup. Un journaliste a même confirmé avoir reçu près de trois millions de gourdes pour « patronner » un événement qui dure… trois semaines. Pendant ce temps, des enfants quittent prématurément l’année scolaire faute de transport, de vêtements ou de nourriture. Et ceux qui tiennent jusqu’à la fin ne peuvent parfois même pas obtenir leur carnet de notes — leurs parents n’ayant pas les moyens de payer les frais de retrait du bulletin.

Et que dire des étudiants universitaires, en fin de cycle, qui rédigent leur mémoire sans pouvoir l’imprimer ni le relier ? Le contraste est cruel. Injuste. Inacceptable.


Un financement automatique… et pourtant publicitaire

Ce qui choque davantage, c’est que le FNE n’a aucun besoin de publicité pour exister. Contrairement à d’autres institutions comme l’OAVCT, l’EDH ou la DGI, le financement du FNE provient directement de taxes sur les transferts d’argent de la diaspora haïtienne. Sa collecte est donc automatiquenon tributaire du comportement des usagers, et surtout indépendante de tout effort de marketing. Il n’a pas besoin de convaincre pour recevoir. Il n’a pas besoin de se « vendre » pour fonctionner.

Faire du marketing institutionnel dans ce cas est un non-sens absolu. Pire encore : c’est un gaspillage. Un affront aux élèves sans cahiers, aux écoles sans bancs, aux professeurs non formés. Dépenser des millions pour « se faire voir », alors que les écoles manquent du strict minimum, revient à se moquer du pays.


Qui décide ? Et dans quel intérêt ?

Il est donc urgent de poser les bonnes questions. Non seulement aux gestionnaires du FNE, qui valident ces dépenses aberrantes, mais aussi à ceux qui encaissent ces subventions hors mission. Pourquoi une institution dédiée à l’éducation verse-t-elle de telles sommes à des journalistes, souvent proches du pouvoir, pendant que les écoles s’effondrent et que les enseignants attendent des formations ?

Qui décide ? Sur quels critères ? Dans quel but réel ?

La vérité, c’est que le FNE est devenu une caisse parallèle, au service d’alliances politiques, médiatiques ou personnelles, bien loin de son mandat d’origine. On n’y retrouve ni logique sociale, ni équité, ni stratégie éducative nationale.


Une corruption douce, mais destructrice

Il s’agit d’une complicité à plusieurs niveaux. Ce n’est pas seulement la direction du FNE qu’il faut interroger. Ce sont les bénéficiaires eux-mêmes. Quel journaliste, quel média, quel influenceur peut justifier l’encaissement de fonds publics destinés à l’éducation pour diffuser un match de football ?

L’État finance le show plutôt que la salle de classe.
Ce que révèle la gestion actuelle du FNE, c’est une corruption douce, mais dévastatrice. Une corruption pas toujours illégale, mais profondément immorale. On ne détourne peut-être pas la loi — mais on trahit une mission. Et dans un pays aussi fragile qu’Haïti, cela revient à hypothéquer l’avenir d’une génération entière.


L’éducation n’est pas un prétexte, c’est une urgence

Tant que le FNE fonctionnera dans cette opacité, tant qu’il continuera à financer des activités sans aucun lien avec sa mission fondamentale, il faudra le dénoncer.

L’éducation ne doit pas être un prétexte pour arroser des amis politiques ou médiatiques.
L’éducation, en Haïti plus qu’ailleurs, est une urgence nationale.

Le FNE n’a pas été conçu pour briller dans les stades, mais pour éclairer les salles de classe.
Il est grand temps de le lui rappeler — fermement.

By Willy DESULMA

Willy DÉSULMA, Normalien diplômé de l’École Normale Supérieure et économiste formé à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti, est journaliste et responsable de l’information à Alternance Média TV. Passionné par la diffusion d’une information claire et fiable, il s’engage à informer avec rigueur et professionnalisme. Expert en analyse économique et éducation, il combine savoir et expertise pour éclairer l’actualité et contribuer au débat public.