Depuis quelques jours, un mouvement inattendu s’observe dans plusieurs quartiers de la capitale. À l’appel de Jimmy Cherizier, alias « Barbecue », chef de file de la coalition armée Viv Ansanm, certains habitants de Delmas 18, Delmas 24, Carrefour Aéroport, Nazon et Solino ont commencé à regagner leur habitation. Des journalistes présents sur les lieux rapportent avoir constaté la participation active de la mairie de Delmas, mobilisée pour nettoyer les rues et déblayer les routes, facilitant ainsi le retour des familles déplacées.
Mais derrière ces images de retour progressif à la normale, une question fondamentale demeure : qui est vraiment à l’origine de cette initiative ?
Des gangs en quête de légitimité ?
Pour certains observateurs, ce « retour encadré » pourrait marquer une tentative des gangs de redorer leur image après des années de violences, de meurtres et de déplacements forcés. Jimmy Cherizier, devenu l’un des visages les plus controversés d’Haïti, chercherait à apparaître non seulement comme un chef de guerre, mais aussi comme un acteur incontournable dans la gestion de la capitale.
Une main tendue du pouvoir ?
D’autres y voient la trace d’une négociation tacite entre les gangs et les autorités en place. Pourquoi ces retours concernent-ils seulement quelques zones précises de Port-au-Prince et non d’autres quartiers également touchés par la terreur des groupes armés ? L’hypothèse d’un arrangement discret avec des responsables politiques alimente les débats, dans un pays où l’État peine à reprendre le contrôle de son territoire.
Pressions internationales et transition sécuritaire
Une autre lecture s’impose : celle d’une pression exercée par les partenaires étrangers d’Haïti. En effet, cette initiative survient alors que la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS), conduite par le Kenya, s’approche de la fin de son mandat. Plusieurs pays, dont les États-Unis, plaident déjà pour une nouvelle mission internationale afin d’assurer la continuité sécuritaire et neutraliser les gangs armées. Or, il est clair que l’éviction forcée d’Ariel Henry, largement attribuée à l’action coordonnée des gangs, a profondément reconfiguré le rapport de force dans le pays.
Une accalmie durable ou une manœuvre de façade ?
Ce « retour » orchestré soulève donc autant d’espoir que d’inquiétude. Espoir pour les familles qui aspirent à retrouver un semblant de vie normale ; inquiétude face au risque d’une stratégie de manipulation politique où les gangs chercheraient à se présenter comme des partenaires incontournables, au moment où l’avenir de la présence internationale en Haïti se redessine.
À la veille d’une nouvelle étape de la transition sécuritaire, une interrogation persiste : les rues de Port-au-Prince s’ouvrent-elles vraiment à la paix, ou ne s’agit-il que d’une mise en scène au service d’intérêts politiques et internationaux ?