Dans un contexte d’insécurité généralisée et de déliquescence de l’État, la Police nationale d’Haïti (PNH) a réalisé une des plus grandes saisies de drogue de son histoire. Dimanche 13 juillet, à La Tortue, dans le Nord-Ouest du pays, les forces de l’ordre ont mis la main sur plus d’une tonne de cocaïne, soit 1 045 kilogrammes répartis dans 959 paquets, dissimulés à bord d’une chaloupe.
L’opération, menée conjointement par l’Unité départementale de maintien d’ordre (UDMO) et la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS), a également conduit à la mort de quatre trafiquants présumés, dont Anthony Jimmy, présenté par les autorités comme le cerveau du réseau.
« C’est un coup très dur pour les trafiquants. Nous avons agi avec détermination et coordination. La PNH est toujours mobilisée, malgré les moyens limités », a déclaré Michel-Ange Louis-Jeune, commissaire divisionnaire et porte-parole de la PNH.
Des trafiquants étrangers, une destination inconnue
Trois autres suspects — deux Jamaïcains et un Bahaméen — ont été blessés par balles en tentant de s’échapper par la mer. Ils se seraient noyés, selon les premières constatations. Une enquête a été ouverte pour déterminer la destination finale de la drogue et les ramifications internationales du réseau.
Une habitante de La Tortue, rencontrée par notre correspondant sur place, témoigne sous anonymat :
« Nou wè chaloup lan rive byen bonè. Gen moun ki te di se pechè yo, men gen lòt ki te santi gen bagay ki pa klè. Se pa premye fwa nou tande pale de bato ki pote dwòg nan zòn nan. Men sa, se te yon gwo chaj vre », explique-t-elle, inquiète de la fréquence de ces mouvements suspects sur la côte.
Un pays au bord du chaos
Cette opération spectaculaire intervient alors que la capitale Port-au-Prince est gangrenée par les violences. Selon Ghada Waly, directrice de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), près de 90 % de la capitale serait sous contrôle de groupes armés.
« Ce qui était déjà une situation grave est en train de dégénérer davantage. Nous voyons des gangs mettre en place des structures de gouvernance parallèles », a-t-elle alerté début juillet.
Dans les rues de la capitale, la population est souvent livrée à elle-même.
« Tout le monde sait qui contrôle les quartiers. Ce n’est plus l’État, c’est les gangs. Et parfois, on soupçonne que certains protègent les trafiquants. La saisie, c’est bien, mais il faut nettoyer tout le système », déclare Jean-Wisly, un commerçant du quartier Delmas 33.
Un succès symbolique, mais précaire
Malgré cette victoire pour la PNH, le combat contre le trafic de drogue et les réseaux criminels reste inégal. Les autorités, souvent débordées, manquent de moyens logistiques, de soutien politique et de confiance populaire. La réussite de cette opération démontre cependant que des résultats sont possibles quand les forces de sécurité agissent de façon ciblée et coordonnée.
« C’est la preuve que nous pouvons frapper fort. Mais pour vaincre le narco-pouvoir, il faudra du courage, des ressources et une vraie volonté politique », a conclu un officier de la BLTS, sous couvert d’anonymat.
Alternance poursuivra ses investigations dans les prochains jours pour éclairer les zones d’ombre de cette affaire et suivre l’évolution de l’enquête en cours.