Port-au-Prince / Miami – Plus de quatre ans après l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, la figure de son épouse, Martine Moïse, reste au cœur d’une affaire judiciaire et politique aux ramifications internationales. Reconnaissance de son statut de victime aux États-Unis d’un côté, mise en cause et soupçons persistants en Haïti de l’autre : le dossier illustre la profonde fracture entre deux systèmes judiciaires qui tentent, chacun à leur manière, d’élucider ce crime d’État.
Une indemnité record aux États-Unis
Un juge fédéral de Floride, José Martinez, a condamné plusieurs des accusés déjà jugés coupables dans le cadre de l’assassinat du président Moïse à verser plus de 6,2 millions de dollars US (5,7 millions d’euros) à sa famille.
Martine Moïse perçoit près de 5 millions d’euros pour ses frais médicaux, ses déplacements et sa sécurité. Son fils aîné, Joverlein Moïse, obtient plus de 800 000 euros. Les deux autres enfants du couple, présents dans la résidence lors de l’attaque du 7 juillet 2021 mais non blessés, sont représentés par leur mère dans une autre procédure civile ouverte à Miami.
Selon son avocat américain, Paul Turner, l’ancienne Première dame se dit « reconnaissante » de cette décision et devrait jouer le rôle de témoin clé lors du prochain procès fédéral prévu en janvier.
Une inculpation controversée en Haïti
En Haïti, le parcours judiciaire de Martine Moïse est tout autre. En février 2024, le juge d’instruction Walter Wesser Voltaire avait inculpé 51 personnalités, dont l’ancienne Première dame, l’ex-Premier ministre Claude Joseph et l’ex-directeur général de la Police nationale Léon Charles, pour leur implication présumée dans le complot ayant conduit à l’assassinat du président.
Mais le 13 octobre 2025, la cour d’appel de Port-au-Prince a annulé cette ordonnance, estimant que l’enquête devait être approfondie. Dans une décision qualifiée de « tournant majeur », elle a relancé l’instruction et sollicité l’entraide judiciaire des États-Unis et du Canada pour entendre plusieurs figures clés, dont Martine Moïse et son fils Joverlein.
Des comportements jugés suspects
Au-delà de la procédure judiciaire, Martine Moïse a aussi alimenté les spéculations par son attitude après l’assassinat de son mari.
Dès sa sortie de l’hôpital, elle a manifesté sa volonté de prendre la relève politique de Jovenel Moïse et de s’installer au Palais national. Quelques mois seulement après le drame, elle est apparue sur la scène publique avec des discours et une posture de candidate potentielle à la présidence, alors que l’enquête sur l’assassinat restait encore en cours.
Pour ses partisans, cette réaction relevait d’un courage politique et d’une volonté de défendre l’héritage de son époux. Pour ses détracteurs, elle témoignait plutôt d’une ambition personnelle suspecte, renforçant les doutes sur son rôle réel dans ce dossier.
Victime ou suspecte ?
Cette double position place Martine Moïse dans une situation paradoxale :
Aux États-Unis, elle est reconnue comme partie civile et bénéficie d’une indemnisation conséquente en tant que victime directe de l’attaque. En Haïti, son nom reste associé à des soupçons d’implication, au point d’avoir été inculpée avant que la procédure ne soit annulée puis réouverte.
Un dossier toujours enlisé
Quatre ans après l’assassinat de Jovenel Moïse, l’affaire reste minée par les rivalités politiques, les accusations de manipulation et l’ingérence internationale.
Si la justice américaine a déjà prononcé des condamnations lourdes contre certains commanditaires et exécutants, la justice haïtienne, elle, peine encore à établir une vérité judiciaire claire et partagée.
Entre statut de victime légitime et suspecte controversée, Martine Moïse demeure l’un des personnages centraux d’un dossier qui continue de diviser, en Haïti comme à l’étranger.