Washington met la tête du chef de gang haïtien sur prix. Une annonce qui semble musclée… mais qui cache peut-être un aveu d’impuissance. Analyse, dans sa chronique pour « ALTERNANCE MÉDIA « , Ralph SIMÉON , journaliste indépendant.
Le 12 août 2025, les États-Unis ont annoncé une mise en accusation formelle contre Jimmy Chérizier, alias Barbecue, chef de l’alliance criminelle « Viv Ansanm », accusé de violer les sanctions américaines en organisant extorsions, enlèvements et massacres en Haïti. Le Département d’État a, dans le même temps, promis jusqu’à 5 millions de dollars pour toute information menant à son arrestation ou à sa condamnation.
Une annonce spectaculaire… mais qui, à y regarder de plus près, pose de sérieuses questions sur sa crédibilité et ses véritables objectifs.
Une annonce qui frappe l’opinion publique
En offrant un montant aussi élevé, Washington envoie un message clair : Jimmy Chérizier est considéré comme l’un des plus dangereux criminels de la Caraïbe. Déjà visé par des sanctions en vertu du Global Magnitsky Human Rights Accountability Act, Barbecue est également sous le coup d’une désignation officielle de « Foreign Terrorist Organization » depuis mai 2025.
La communication américaine insiste : il s’agit de mobiliser tous les réseaux en Haïti, dans la diaspora et à l’international pour briser l’impunité des gangs.
La réalité derrière la promesse
Or, selon des sources issues du système judiciaire américain, la récompense de 5 millions de dollars est soumise à une condition rarement évoquée publiquement : elle n’est pas accessible aux non-Américains ou aux détenteurs de Green Card.
Autrement dit, un citoyen haïtien vivant en Haïti et donc le plus à même de fournir des renseignements cruciaux ne pourrait légalement percevoir cette somme.
Cette restriction, prévue par les règles du Rewards for Justice Program du Département d’État, réduit considérablement l’impact potentiel de l’offre sur le terrain haïtien. La prime s’adresse avant tout à un cercle restreint d’informateurs liés aux réseaux américains, et non à la population directement confrontée aux violences de Viv Ansanm.
Une stratégie déjà vue : le cas Vitel’Homme Innocent
Ce n’est pas la première fois que Washington utilise ce type d’annonce. En 2023, Vitel’Homme Innocent, autre chef de gang impliqué dans l’enlèvement de missionnaires américains, avait été visé par une récompense de 2 millions de dollars. L’homme avait même affirmé avoir proposé sa reddition à l’ambassade des États-Unis, en échange de l’argent promis pour sa famille.
Malgré cela, il est resté en liberté plusieurs mois, avant d’être retiré en juillet 2025 de la liste des dix fugitifs les plus recherchés du FBI.
De quoi interroger sur l’efficacité réelle de ce type d’opération.
Des liens troublants avec les chefs de gangs
Selon Lemoine Bonneau, ancien rédacteur en chef adjoint du journal Le Nouvelliste, les contacts entre les journalistes américains et les chefs de gangs haïtiens pour des interviews sont organisés par l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince.
Cette affirmation rejoint les propos de Dennis Bruce Hankins, ex-chargé d’affaires américain en Haïti, qui avait déclaré sur l’antenne de Radio Métropole qu’il discutait « tous les jours » avec des chefs de gangs opérant autour de la zone de l’ambassade, officiellement « dans le but de protéger les employés » de la mission diplomatique.
Ces révélations soulignent une contradiction : comment concilier la posture officielle de fermeté avec des échanges réguliers, voire facilités, entre la diplomatie américaine et ceux qu’elle désigne comme des terroristes ?
Une communication qui interroge
Tandis que Barbecue continue d’accorder des interviews à des médias internationaux depuis ses fiefs, et que l’ambassade américaine détient déjà de nombreuses informations sur ses déplacements et ses réseaux, on peut se demander si cette prime relève plus de la mise en scène que d’un véritable plan d’arrestation.
À force d’alterner déclarations spectaculaires et absence de résultats tangibles, Washington prend le risque de nourrir le sentiment que, dans le dossier haïtien, les grandes annonces ne sont qu’un théâtre diplomatique, pendant que la population, elle, continue de subir.