La décision prise par la Maison-Blanche de désigner officiellement la coalition de gangs armés « Viv Ansanm » comme organisation terroriste étrangère constitue un événement sans précédent dans l’histoire récente d’Haïti. En franchissant ce cap, le gouvernement américain reconnaît que la violence perpétrée par ces groupes ne relève plus simplement du crime organisé local, mais s’apparente désormais à une menace terroriste d’envergure régionale. Ce geste fort intervient dans un contexte d’effondrement institutionnel, où les gangs contrôlent plus de 85 % de Port-au-Prince et bloquent toute tentative de relance politique et économique. Il s’agit d’un tournant diplomatique et stratégique lourd de conséquences.

Sur le plan juridique et sécuritaire, cette mesure active des dispositifs complexes. Le spécialiste en droit international James Walenski explique qu’une telle désignation entraîne automatiquement le gel des avoirs de toute personne liée à ces groupes aux États-Unis et dans les territoires alliés, interdit tout appui matériel ou financier, et expose les complices à des poursuites extraterritoriales sévères. Selon Diverger Benoît, expert en relations internationales, cette mesure ouvre également la porte à une coopération renforcée entre agences de renseignement internationales, ce qui pourrait accélérer l’identification des réseaux de financement transnationaux, souvent alimentés depuis la diaspora. Toutefois, à court terme, cette pression pourrait provoquer une intensification des actes violents, les chefs de gangs n’ayant plus rien à perdre. La population civile pourrait en payer le prix si aucune protection concrète n’est mise en place.

L’impact économique de cette décision est, lui aussi, considérable. Carl-Édouard Laleau, économiste et ancien du MEF, souligne que ce classement pourrait améliorer l’image d’Haïti auprès des bailleurs internationaux, en montrant que la communauté internationale prend enfin la menace sécuritaire au sérieux. Cela pourrait encourager une reprise de l’aide étrangère et redonner un souffle aux institutions financières locales. Toutefois, il avertit que les sanctions peuvent aussi affecter des secteurs informels déjà fragiles, notamment dans les zones contrôlées par les gangs, où des milliers de familles dépendent du commerce de rue, de la contrebande ou des transferts de fonds opérés depuis l’étranger. À moyen terme «  cette décision pourrait marquée par la fermeture de certaines entreprises ayant développée de près ou de loin des rapports avec les gangs. Ce qui va entrainer une perte d’emploi et une variation à la hausse du taux de chômage ». Si la sécurité s’améliore, les effets pourraient être bénéfiques. Dans le cas contraire, cette décision pourrait aggraver la crise humanitaire et accroître la dépendance économique.

Historiquement, les conséquences d’un tel classement varient d’un pays à l’autre. En Colombie, la désignation des FARC comme groupe terroriste avait ouvert la voie à des négociations politiques qui ont débouché sur un accord de paix. À l’inverse, au Nigeria, le classement de Boko Haram n’a pas permis d’endiguer la violence, en raison d’un manque de coordination entre les actions militaires et les initiatives de développement. Pour Haïti, la clé résidera dans la capacité des autorités de transition à articuler cette décision avec une stratégie nationale de désarmement, de justice et de réinsertion, tout en reconstruisant l’appareil d’État sur des bases solides.

En somme, la désignation de la coalition « Viv Ansanm » comme organisation terroriste peut constituer un levier de transformation, si elle s’inscrit dans une approche cohérente et inclusive, impliquant les Haïtiens eux-mêmes. Sans réponse institutionnelle solide, cette mesure pourrait rester purement symbolique ou, pire, se retourner contre les populations les plus vulnérables. Plus que jamais, l’avenir d’Haïti dépendra de la manière dont cette décision sera exploitée ou manquée  par les forces vives de la nation et leurs partenaires internationaux.

Par Willy Desulma pour alternance media. 

 

By Willy DESULMA

Willy DÉSULMA, Normalien diplômé de l’École Normale Supérieure et économiste formé à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti, est journaliste et responsable de l’information à Alternance Média TV. Passionné par la diffusion d’une information claire et fiable, il s’engage à informer avec rigueur et professionnalisme. Expert en analyse économique et éducation, il combine savoir et expertise pour éclairer l’actualité et contribuer au débat public.