Sous haute sécurité et devant un parterre d’officiels et de diplomates, l’homme d’affaires Laurent Saint-Cyr a pris hier les rênes du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). « Les gangs n’auront pas le dernier mot en Haïti », a-t-il promis. Une phrase déjà entendue, prononcée avec la même solennité par ses prédécesseurs, et qui sonne aujourd’hui comme une litanie impuissante face à l’embrasement national. Depuis le 3 avril 2024, Haïti change de coordonnateur du CPT tous les cinq mois. Quinze mois de paralysie, de divisions internes et d’inaction face à une crise sécuritaire et politique qui s’aggrave de jour en jour. Les élections promises pour fin 2025 ressemblent désormais à un mirage qui s’éloigne.

Le coordonnateur sortant, Fritz Alphonse Jean, n’a pas mâché ses mots : le secteur privé – dont est issu Saint-Cyr – étend sa mainmise sur l’exécutif, et certains de ses acteurs ont, selon lui, « contribué au chaos actuel par des activités illicites et criminelles ». Trois membres du CPT, Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles, sont inculpés par l’ULCC dans un scandale de corruption à la Banque nationale de crédit. Montant en jeu : près d’un million de dollars réclamés au président de la banque en échange du maintien de son poste. Plutôt que d’évincer ces membres éclaboussés, des rumeurs persistantes indiquent que Saint-Cyr chercherait à remplacer le directeur de l’ULCC.

L’arrivée de Saint-Cyr n’est pas du goût de la coalition armée Viv Ansanm. Son porte-parole, Jimmy “Barbecue” Chérizier, avait menacé d’attaquer la Villa d’Accueil à Pétion-Ville, siège des deux branches de l’exécutif. Le matin même de la cérémonie, des tirs ont éclaté sur la route menant au gouvernement. La guerre d’usure entre l’État et les gangs continue, et l’issue reste incertaine.

En juillet, un mois avant sa prise de fonction, Laurent Saint-Cyr figurait sur la photo officielle du sommet de la CARICOM à Kingston, aux côtés des dirigeants caribéens. Première pour un homme d’affaires haïtien. Ce coup d’image contraste avec la réalité nationale, où le chaos et la misère n’épargnent aucun quartier. Officiellement, Saint-Cyr et ses collègues du CPT doivent rétablir la sécurité, promulguer une réforme constitutionnelle, relancer l’économie, organiser les élections avant fin 2025 et transférer le pouvoir à un président élu en février 2026. Mais entre les gangs qui encerclent la capitale, les accusations de corruption qui gangrènent le Conseil et les rivalités internes, cette transition ressemble davantage à un champ de mines qu’à un chemin balisé.

L’installation de Laurent Saint-Cyr illustre le paradoxe haïtien : un État incapable de rompre avec les acteurs économiques qui l’affaiblissent, mais qui leur confie les clés du pouvoir. Le secteur privé peut-il sauver la transition ? Ou bien prépare-t-il, sous couvert de “stabilité”, la continuité d’un système qui s’effondre ? Dans un pays où l’on change de pilote plus souvent que de cap, la vraie question n’est plus qui gouverne, mais pour combien de temps.


By Tanes DESULMA

Tanes DESULMA, Rédacteur en chef d’Alternance-Media, je suis diplômé en journalisme de l’ICORP et en droit public de l’École de Droit de La Sorbonne. Passionné par l’information et la justice, je m’efforce de proposer un journalisme rigoureux et engagé.