Alors qu’aujourd’hui marque le premier anniversaire de l’accord du 3 avril 2023, qui a conduit à l’instauration d’un Conseil présidentiel de transition (CPT) composé de neuf membres présidentiel, le pays s’enfonce davantage dans le chaos. Pour la première fois depuis la constitution du 29 mars 1987, la présidence est exercée par un collectif de neuf (9) dirigeants, une expérience inédite qui, loin d’apporter une stabilité, a démontré les limites d’un pouvoir fragmenté (idéologie, vision et projet de société). Malgré cet effectif élargi à la tête de l’État, la situation du pays ne cesse de se détériorer : l’insécurité s’aggrave, les institutions républicaines demeurent dysfonctionnelles, et l’espoir d’un retour à l’ordre démocratique s’amenuise. La mission principale du CPT  » rétablir la sécurité et organiser des élections crédibles  » semble aujourd’hui une chimère, tant la réalité quotidienne des Haïtiens est marquée par l’anarchie et le désespoir. Un an après l’accord fondateur, aucun signe tangible ne permet d’entrevoir une amélioration de la situation sécuritaire : les routes nationales restent bloquées, les foyers criminels prospèrent, et sous le regard impuissant des autorités, des gangs armés ont pris d’assaut plusieurs quartiers du département de l’Ouest et de l’Artibonite, multipliant massacres et déplacements forcés, comme en témoigne les carnages de Kenscoff, Petite-Rivière de l’Artibonite et de Mirbalais.

Des soldats du groupe terroristes « Viv Ansanm « 

Parallèlement, les acteurs politiques qui ont contribué à la mise en place de cette structure de transition feignent aujourd’hui la surprise face à son échec patent. Certains, à l’instar de Jonas Coffy et d’autres figures de la classe politique traditionnelle, tentent de se démarquer, adoptant un discours critique alors qu’ils ont été des architectes de cet échec collectif. Cette posture, typique de la classe dirigeante haïtienne, illustre le cynisme d’une élite politique qui, après avoir façonné le chaos, cherche à s’en extraire en se posant en opposant. Les partis politiques traditionnels, eux, ne proposent aucune alternative crédible. Englués dans des querelles internes et des luttes d’influence, ils restent incapables d’élaborer un projet de société viable. Comme l’écrivait Hannah Arendt dans La Crise de la culture : « Le plus grand ennemi de l’autorité est le mépris, et la meilleure façon de la discréditer est le ridicule. » Or, en Haïti, le ridicule politique est devenu une norme, et le mépris des citoyens à l’égard de leurs dirigeants atteint son paroxysme.

Dans ce climat délétère, une question cruciale demeure : comment sortir Haïti de ce marasme politique et sécuritaire qui paralyse l’économie et met en péril la survie de millions de citoyens ? Il est évident que la tenue d’élections démocratiques, pourtant présentée comme l’ultime solution par le CPT, relève aujourd’hui de l’utopie. Aucun climat sécuritaire n’est propice à un scrutin libre et transparent. La capitale est encerclée, ses accès sous le contrôle des gangs, tandis que plus d’un million d’Haïtiens sont déplacés, contraints à l’exil intérieur. L’économie est exsangue : les PME ferment en masse, les chaînes d’approvisionnement sont interrompues et la demande s’effondre. Face à cette situation, il est impératif que la société civile et les institutions académiques jouent un rôle central dans la recherche de solutions. L’université, en tant qu’espace de réflexion et de production de savoir, ne doit plus rester en marge de cette crise. N’est-il pas temps que des colloques réunissant l’État, le secteur privé et les acteurs sociaux soient organisés afin d’explorer des pistes de sortie de crise ? Comme le soulignait Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. » Haïti ne pourra se relever qu’en mobilisant ses ressources intellectuelles et en affirmant que la connaissance, la recherche et la volonté politique peuvent éviter le naufrage d’une nation.

Dans ce contexte de désarroi, la population, révoltée, tente tant bien que mal de manifester son ras-le-bol. Pourtant, ce sursaut citoyen est lui aussi marqué par une absence de leadership structuré, une carence qui profite au régime en place. La police, fidèle à son rôle répressif, disperse les manifestations à coups de gaz lacrymogène, étouffant toute velléité de contestation. Pire encore, ces rassemblements, qui devraient incarner une colère populaire légitime, prennent parfois des allures festives : au lieu d’une mobilisation déterminée, on y voit des citoyens danser au rythme des bandes à pied, comme si l’indignation avait cédé la place à la résignation. Cette attitude interroge : Haïti traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire récente, et pourtant, une partie de la population semble anesthésiée, incapable d’exprimer une révolte à la hauteur du drame national. « Un peuple qui dort en liberté se réveillera en esclavage », disait Rousseau. L’heure n’est plus aux tergiversations : Haïti doit se ressaisir, identifier un véritable leadership et cesser de confier son destin à des élites politiques qui, année après année, n’ont fait que précipiter sa chute.

By Willy DESULMA

Willy DÉSULMA, Normalien diplômé de l’École Normale Supérieure et économiste formé à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti, est journaliste et responsable de l’information à Alternance Média TV. Passionné par la diffusion d’une information claire et fiable, il s’engage à informer avec rigueur et professionnalisme. Expert en analyse économique et éducation, il combine savoir et expertise pour éclairer l’actualité et contribuer au débat public.