Près de six mois après l’assaut du 23 mai 2025, l’administration générale des douanes (AGD) affirme avoir “repris le contrôle” du poste frontalier de Malpasse.
Mais cette annonce, faite ce mardi lors d’une conférence de presse à Port-au-Prince, soulève davantage de questions qu’elle n’en résout. Aucun détail n’a été fourni sur les conditions réelles de cette reprise : ni opération policière, ni offensive militaire, ni arrestation, ni affrontement signalé. Comment l’État a-t-il pu rétablir sa présence dans un espace contrôlé jusqu’ici par des groupes armés ? À quel prix, et pour le compte de qui ?
Une reprise annoncée, mais sans explication
L’AGD parle d’une “reprise partielle des opérations”. Les activités administratives auraient timidement redémarré dans l’enceinte douanière.
Mais aucune communication officielle ne mentionne :
les dégâts matériels subis par les installations,
les pertes financières enregistrées durant ces six mois,
ni le sort des hommes armés qui occupaient la zone.
Aucun représentant de la Police nationale d’Haïti (PNH), aucune unité militaire et aucun responsable de la sécurité publique n’a précisé si un affrontement a eu lieu, si des négociations ont été menées, ni si un accord discret a été conclu avec les chefs de gangs impliqués.
Une frontière encore sous contrôle armé
Sur le terrain, une donnée demeure incontestable : la Route Nationale nº 8, principal axe Croix-des-Bouquets – Ganthier – Fonds-Parisien – Malpasse, reste sous l’emprise de groupes armés.
Des postes de péage illégaux continuent de fonctionner à ciel ouvert. Transporteurs et passagers doivent toujours payer pour circuler, selon des témoignages recueillis dans la zone.
La douane serait donc “reprise”, mais l’État ne contrôle toujours pas la route qui y mène.
Une contradiction majeure, lourde de sens.
Les réseaux impliqués sont connus :
la faction Lanmò 100 Jou, aujourd’hui numéro 1 du gang 400 Mawozo, sous la direction opérationnelle d’individus identifiés, dont Benben, actif dans la zone depuis plusieurs années.
Ces groupes n’ont ni été neutralisés, ni affaiblis.
Ils n’ont pas reculé.
Ils n’ont pas été désarmés.
Alors, pourquoi auraient-ils simplement quitté la douane ?
Une question centrale : qu’est-ce qui a changé ?
Sans opération sécuritaire annoncée, une hypothèse s’impose :
il y a eu négociation.
Reste à déterminer de quelle nature :
Financement direct ?
Promesse de non-intervention ?
Droit tacite sur la route et les péages ?
Partage des bénéfices douaniers ?
Accord politique invisible ?
Aucune réponse n’a été fournie.
Pendant ce temps, le commerce continue… mais unilatéralement
La République dominicaine, elle, continue de dédouaner ses marchandises.
Des camions entrent quotidiennement en Haïti sans supervision haïtienne.
Les recettes douanières qui devraient alimenter le Trésor public haïtien continuent d’échapper à l’État.
Un manque à gagner estimé à plusieurs millions de gourdes par semaine.
Un symbole fragile de souveraineté
La frontière de Malpasse n’est pas qu’un point de passage.
Elle est un marqueur territorial, un levier économique, un symbole d’autorité.
Aujourd’hui, malgré l’annonce officielle, ce symbole reste fragile :
L’État parle, mais ne montre pas.
L’AGD occupe le bâtiment, mais ne contrôle pas le territoire.
L’annonce de la “reprise” ressemble, à ce stade, moins à une reconquête qu’à un arrangement opaque.
La question demeure ouverte :
L’État a-t-il négocié sa souveraineté ?
Et si oui, avec qui, à quel prix, et au détriment de qui ?
Alternance Média poursuivra ses vérifications dans les jours à venir.